Par Mohamed Fall Sidatt*

La Mauritanie dispose d’une diaspora vaste, diverse et dynamique, répartie sur les cinq continents. Constituée en grande partie de jeunes, partis en quête de meilleures opportunités, elle rassemble des profils aussi multiples que complémentaires : commerçants établis de longue date dans plusieurs pays africains, ouvriers qualifiés et diplômés installés en Europe, chercheurs et imams présents dans les pays du Golfe depuis les années 1980, sans oublier la nouvelle vague de migrants en Amérique du Nord. Toutes les composantes ethniques du pays y sont représentées, unies par un attachement profond à leur terre natale.
Porteuse d’un capital humain considérable, d’une expertise avérée et d’une capacité d’adaptation remarquable, la diaspora mauritanienne constitue un atout stratégique. Pourtant, son potentiel reste largement sous-exploité. Si rien n’est fait pour l’inclure dans les dynamiques nationales, elle risque de devenir une source de frustration, voire de rupture.
Chaque année, les transferts financiers des Mauritaniens de l’étranger injectent plusieurs milliards d’ouguiyas dans l’économie nationale. Ces fonds soutiennent des milliers de foyers, facilitent l’accès à l’éducation et aux soins de santé, et financent de nombreux projets communautaires. Au-delà de la solidarité familiale, nombre d’expatriés investissent dans des secteurs clés – agriculture, immobilier, services, éducation – contribuant ainsi à la création d’emplois et à la diffusion de compétences locales.
Sur le plan social, les initiatives issues de la diaspora sont nombreuses : création d’écoles, de centres de santé, de réseaux d’eau, de programmes de solidarité. Ces actions, souvent menées avec peu de moyens mais beaucoup d’engagement, viennent compléter, voire suppléer, l’action publique, notamment dans les zones les plus reculées.
Par ailleurs, exposés à des sociétés démocratiques et ouvertes, les Mauritaniens de l’étranger s’impliquent de plus en plus dans le débat public. Grâce aux réseaux sociaux, certains sont devenus des voix influentes, capables de mobiliser, de sensibiliser et d’interpeller.
Mais cette vitalité est encore trop souvent perçue avec suspicion par certains cercles politiques ou administratifs. La diaspora est parfois considérée comme une force critique, voire dérangeante, plutôt que comme un partenaire stratégique. Résultat : elle est marginalisée des processus décisionnels, absente des grandes orientations politiques et faiblement impliquée dans les projets structurants.
Ce manque de reconnaissance alimente un sentiment croissant d’injustice. Malgré leur loyauté, leurs compétences et leur volonté de contribuer, nombre d’expatriés voient leurs efforts ignorés, parfois même entravés. Certains finissent par se résigner, d’autres radicalisent leur discours. Or, l’histoire l’a prouvé : une diaspora ignorée peut devenir un facteur d’instabilité, en soutenant des dynamiques de rupture politique, médiatique ou financière.
Il est donc urgent de changer de cap. La Mauritanie doit adopter une stratégie ambitieuse et inclusive à l’égard de sa diaspora, fondée sur la reconnaissance mutuelle, la confiance et l’intérêt commun. Cinq axes prioritaires doivent guider cette politique :
- Cartographier les talents
Mener un recensement rigoureux des Mauritaniens établis à l’étranger, en identifiant leurs compétences, expériences, réseaux et capacités d’investissement. Le Maroc, avec sa plateforme « MDCMaroc » qui connecte plus de 5 millions d’expatriés à des opportunités locales, offre un exemple inspirant.
- Ouvrir l’accès aux responsabilités
Faciliter l’accès des profils issus de la diaspora aux fonctions publiques et politiques – ministères, ambassades, agences – sur la base du mérite, de l’expérience et de l’engagement.
- Faciliter l’investissement et l’entrepreneuriat
Créer un environnement incitatif : dispositifs d’accompagnement, avantages fiscaux, simplification des procédures, accès aux marchés publics. Cela encouragera les initiatives économiques portées par les expatriés.
- Garantir les droits civiques
Améliorer l’enrôlement à l’état civil, lever les obstacles au vote à distance, et renforcer la représentation des Mauritaniens de l’étranger dans les instances nationales.
- Valoriser les relations avec les pays d’accueil
Faire de la diaspora un levier de diplomatie économique, scientifique, éducative et culturelle. Elle peut jouer un rôle clé dans le rayonnement de la Mauritanie à l’international.
En adoptant une politique sincère, cohérente et proactive d’intégration de sa diaspora, la Mauritanie pourra mobiliser un réseau mondial de talents et d’acteurs engagés. Elle y gagnera en stabilité, en capacités de développement et en influence.
La récente initiative du coordinateur du dialogue national, M. Moussa Fall, visant à associer la diaspora à ce processus historique, a été accueillie avec espoir. Ce geste fort doit maintenant être renforcé et suivi d’actes concrets.
Car l’avenir de la Mauritanie ne se joue pas uniquement à Nouakchott. Il s’écrit aussi à Paris, New York, Abidjan, Dubaï ou Dakar.
La diaspora est prête. À la Mauritanie de l’être aussi
*Ingénieur informaticien, ancien président de l’Association mauritanienne aux États-Unis