« De Wagadu-gu à Bamako, tu as éveillé la conscience de milliers de jeunes. » Ces propos font partie d’un commentaire sur Facebook fait par Ibrahima Thiaw sur un hommage de Gourmo Abdoul Lô à Moussa Diagana, l’auteur de la légende du Wagadou vue par Siya Yatabaré, disparu il y a quelques jours.
A Moussa Diagana qui nous a quittés le 16 janvier 2018, il faut dire merci d’avoir déconstruit un mythe qui fut tout sauf positivement fondateur pour le peuple soninké.
Longtemps ce peuple s’est complu dans la croyance au Bida, un dieu pourvoyeur de bonheur en contrepartie de la plus belle, la plus noble, la plus légitime des filles de « son » Empire, le Ghana.
Il a fallu, la vivacité d’esprit de Moussa Diagana, usant d’un talent à la fois d’artiste et de philosophe pour dévoiler le complot politique dont était victime un peuple crédule. Vu par Siya, ce qui se passait dans l’empire n’était rien d’autre qu’une arnaque. C’est ce que la pièce de théâtre a mis en évidence : des prêtres (sept !!!) qui profitaient pour violer, tuer et jeter les belles, nobles et légitimes vierges dans le puits où était supposé se trouver un Python à sept têtes…Il fallait avoir ce « regard perçant » qu’est celui du regretté Moussa Diagana pour oser élucider ce crime !
« Tu emportes avec toi, bien accroché, le Respect dû à ceux qui s’élèvent à la pensée universelle d’une humanité meilleure. » (Gourmo Abdoul Lô)
C’est cette vivacité d’esprit qu’a salué Maitre Gourmo Abdoul Lo, juriste et homme politique mauritanien en ces termes : « Tu auras donné sens à ta vie et à la nôtre, par ton regard perçant du Témoin de l’histoire. Tu emportes avec toi, bien accroché, le Respect dû à ceux qui s’élèvent à la pensée universelle d’une humanité meilleure. »
E à propos de complot politique, il se trouve que depuis la nuit des temps, ceux qui dirigent ont le plus souvent été de mèche avec ceux qui détiennent le savoir pour mystifier ceux qui sont dirigés….
Les rois, les princes, les mages, les prêtres, les sultans, les marabouts, etc. tous ont usé de leur ascendant sur les peuples pour assouvir leur soif de pouvoir et de ses ingrédients !
la légende déconstruite, le « crime » élucidé
Très peu de sages ont fait preuve d’humilité et ont fait effort de justice et d’équité. Les mythes, les légendes et autres histoires ont servi de supports pour emprisonner les mentalités des foules dans les rêves de promesses qu’il vaut mieux éviter de qualifier…
Pour ce qui est de la légende du Wagadou, celle officiellement admise au grand dam des récits plus adaptés pour expliquer la chute d’un empire par des événements historiques repérables, c’aurait été une provocation que de dire aux descendants de Kaya Magha et de la dynastie des Cissé, entre autres gardiens de la féodalité, qu’une défaite historiquement établie, ou une catastrophe naturellement plausible, était la véritable cause de la dislocation qu’eux imputent à « la vengeance » d’un dieu serpent, déçu de n’avoir pas eu droit à l’offrande habituelle. Moussa Diagana a réussi une « lecture du soupçon » avec brio qui, à notre sens doit être la rupture définitive avec le mythe et tout ce qu’il implique. Car, pour citer encore le commentaire d’ Ibrahim Thiaw, éminent cadre mauritanien qui est aujourd’hui Directeur exécutif adjoint du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE): « Moussa Diagana a rendu un énorme service à son peuple, en particulier en vulgarisant la légende du Wagadu. »
Donner la parole à Siya, la dernière victime qui aura eu la vie sauve grâce, dirait-on, à la folie opiniâtre de son fiancé Mamadi le taciturne, c’était certes le moyen le plus efficace de restituer une version bien plus logique de ce que fut le destin d’un peuple historiquement défait condamné au voyage pour ne pas dire à l’errance, celle que subissent les bannis lorsque la défaite se fait « gêne ».
En effet, après le Ghana, visiblement seul repère confortable, puisque considéré comme l’âge d’or qui n’aura été détruit que par une force métaphysiquement admise, les soninké sont devenus des voyageurs.
réveille-toi, ô peuple…
Pas forcément des nomades, puisqu’ils emportent partout avec eux la mentalité des sédentaires trop rattachés aux « valeurs », ils s’en vont qui à la recherche du bien, qui à la recherche du savoir. Des migrants prêts à aller au bout du monde, quitte à mourir. Pourvu qu’au finish le retour soit éclatant comme une victoire. La migration devient une sorte de renoncement à la reconquête d’un pouvoir politique qui fut jadis le sien. Voilà ce qu’est sans doute devenu le destin du peuple soninké. Un peuple qui, il faut le lui concéder, a réussi également une mutation on ne peut spirituelle, lorsqu’il s’est tourné, à la faveur de l’islamisation, vers la science religieuse. Un rattrapage qui en fit une des références dans la région ouest africaine où des grands noms d’érudits sont considérés comme émanant de ce peuple soninké.
Moussa Diagana s’en est allé. Que son âme repose en paix. A son peuple de se réveiller du confort dogmatique. Il a eu le mérite de l’en sortir en donnant la parole à la femme. A Siya, folle parce que découvreuse du secret. Folle parce qu’ayant tourné le dos au conformisme.
Kissima