Gouverner c’est communiquer : L’impératif d’une stratégie de communication d’État cohérente en Mauritanie

Par Bâ Alpha

La récente communication du Président de la République, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, lors du mini-sommet aux États-Unis a suscité de nombreux commentaires. Sans verser dans la critique stérile, cet épisode révèle une réalité incontournable à l’ère de l’hyper-visibilité diplomatique : chaque mot, chaque posture, chaque image d’un chef d’État en déplacement est interprété, répercuté, et amplifié dans l’espace public mondial. Ceci invite à une réflexion plus large sur la nécessité, pour la Mauritanie, de maîtriser pleinement les codes et outils de la communication d’État, non seulement au sommet de l’exécutif, mais aussi de manière transversale, dans tous les rouages institutionnels.

Gouverner ne consiste plus uniquement à décider et à exécuter. Il faut aussi expliquer, incarner, convaincre. Les rapports entre gouvernants et gouvernés ont profondément évolué : la défiance citoyenne n’est plus silencieuse, elle s’exprime en temps réel, dans la rue comme en ligne, au sein des cercles diplomatiques comme dans les médias. Dans ce nouvel écosystème, la communication n’est pas un luxe ni un art secondaire, mais un levier fondamental du pouvoir et de l’action publique.

En Mauritanie, cette transformation interpelle directement l’État. Trop souvent, la parole publique reste éparse, compartimentée, ou prise de court par l’actualité. L’image du pays, à l’intérieur comme à l’extérieur, oscille entre silences institutionnels, réponses tardives ou dissonances narratives. À défaut d’une communication claire, cohérente et structurée, les intentions politiques se brouillent, les réformes s’enlisent dans l’incompréhension, et les opportunités d’influence s’évanouissent.

Les enjeux politiques,

À l’ère de la démocratie d’opinion, la communication n’est plus un accessoire du pouvoir. Elle en est une condition d’exercice. Dans les régimes modernes, la légitimité politique ne repose plus uniquement sur le suffrage ou l’autorité institutionnelle, mais sur la capacité à expliquer, à convaincre et à fédérer autour d’une vision. Une gouvernance qui ne s’exprime pas, qui ne se donne pas à lire, laisse place à l’interprétation, à la suspicion, voire à la contestation.

Dans ce contexte, la communication politique joue un rôle cardinal : elle permet de traduire l’action publique en langage citoyen, de faire comprendre les enjeux complexes, de désamorcer les peurs, et de donner du sens aux décisions souvent perçues comme technocratiques ou distantes. Autrement dit, elle humanise le pouvoir.

La Mauritanie traverse, comme nombre d’États africains, une période charnière. Les attentes sociales sont élevées, les frustrations économiques profondes, et les équilibres communautaires parfois fragiles. Dans ce climat, chaque parole présidentielle, chaque déclaration ministérielle, chaque silence même, prend une dimension politique. Or, lorsque la communication devient floue, fragmentée ou désordonnée, elle peut produire l’effet inverse de celui recherché.

Prenons l’exemple de certaines réformes économiques jugées nécessaires, comme l’ajustement des subventions ou la réorganisation de certains services publics. Faute d’avoir été accompagnées d’une stratégie de communication pédagogique, inclusive et anticipatrice, ces mesures ont parfois été perçues comme brutales, injustes, ou déconnectées des réalités vécues par les populations. Résultat : des mouvements de grogne, une perte de confiance, et une occasion manquée de bâtir un consensus.

Autre exemple : dans un pays où l’unité nationale est un pilier intangible, l’absence de narration cohérente sur les efforts de cohésion sociale peut laisser le champ libre à des récits concurrents, parfois instrumentalisés à des fins politiques. Là encore, ce n’est pas l’action qui fait défaut, mais sa mise en récit, sa visibilité, son appropriation par les citoyens.

Il ne suffit donc pas d’agir pour être entendu. Il faut aussi mettre en récit l’action publique, la contextualiser, en souligner les motivations, les étapes, les résultats attendus, tout en ouvrant des espaces d’écoute et de participation. Ce dialogue permanent avec la nation, qu’il soit vertical (État–citoyens) ou horizontal (interinstitutionnel), est au cœur de toute gouvernance démocratique.

Enfin, la communication politique n’est pas qu’un art de l’image ; elle est un exercice de responsabilité. Elle engage le pouvoir dans un rapport de clarté, de redevabilité et de continuité. C’est pourquoi l’État mauritanien gagnerait à institutionnaliser une culture de la parole publique maîtrisée, portée par des femmes et des hommes formés à cet exercice, dotés d’un mandat clair, et ancrés dans une stratégie globale de cohérence gouvernementale.

Les enjeux économiques

La communication d’État ne sert pas uniquement à informer : elle façonne l’image du pays, crée un climat de confiance et positionne la nation dans la compétition internationale pour les capitaux, les talents et les partenariats. Dans ce contexte, la maîtrise de la communication publique est devenue un instrument majeur de compétitivité économique. Elle influe directement sur trois leviers essentiels du développement : l’attractivité des investissements, le climat des affaires et la crédibilité des engagements économiques.

Dans un monde interconnecté, où les investisseurs prennent des décisions à partir d’indicateurs certes techniques, mais aussi de signaux symboliques, l’image perçue d’un pays peut accélérer ou freiner des flux d’investissements. Une réforme peut être fiscalement avantageuse, mais sans une mise en récit cohérente, elle restera invisible. Une politique industrielle peut être ambitieuse, mais si elle n’est pas promue à l’international dans les bons formats, elle ne sera ni comprise ni valorisée.

C’est ici qu’intervient la notion stratégique de marketing territorial, qui consiste à promouvoir un pays non seulement pour ce qu’il est, mais surtout pour ce qu’il projette, ce qu’il promet, et ce qu’il incarne. Le marketing territorial articule le message, les canaux, les ambassadeurs et les cibles autour d’un même objectif : créer une image économique forte, lisible et attractive.

Le Maroc en est un exemple emblématique. Depuis deux décennies, le Royaume a construit un récit économique volontaire, fondé sur la stabilité politique, les infrastructures de qualité, et l’intégration africaine. Le développement de hubs comme Casablanca Finance City, la technopole de Rabat-Salé ou la zone franche de Tanger Med a été accompagné d’un storytelling bien pensé, relayé dans les forums internationaux, les médias économiques globaux, et soutenu par une diplomatie économique active. Chaque projet devient une vitrine du pays, chaque investissement un signal envoyé aux marchés. Résultat : le Maroc est aujourd’hui perçu comme un acteur incontournable des investissements en Afrique.

Le Rwanda, quant à lui, offre un modèle particulièrement instructif. En misant sur la gouvernance, la transparence et l’innovation, Kigali a su redéfinir son image internationale, passant d’un pays post-conflit à une économie tournée vers le numérique et la durabilité. Le gouvernement rwandais a investi massivement dans sa communication économique : site officiel d’investissement ultra-professionnel, présence ciblée à Davos, World Economic Forum, African CEO Forum, campagnes numériques engageantes. Mais surtout, il a su construire un branding pays basé sur des valeurs claires : efficacité, vision, résilience. Ce marketing territorial assumé a permis d’attirer des sièges régionaux d’entreprises, des financements internationaux, et de positionner Kigali comme une capitale diplomatique et technologique émergente.

À l’inverse, la Mauritanie peine encore à imposer une image économique claire, ambitieuse et différenciatrice. Pourtant, les potentiels sont nombreux : ressources minières, énergies renouvelables, port stratégique de Nouadhibou, zone franche en développement, stabilité politique relative dans une région instable. Mais l’absence d’un récit économique structuré, d’une identité de marque nationale forte, et d’une stratégie de communication cohérente nuit à la projection du pays comme destination d’investissement.

Trop souvent, les annonces restent institutionnelles, les données techniques peu vulgarisées, et les opportunités économiques disséminées sans coordination. Il manque une plateforme narrative, un effort concerté pour incarner et valoriser la vision économique du pays.

Il est donc temps pour la Mauritanie de se doter d’une véritable stratégie de marketing territorial, pensée au plus haut niveau de l’État, en lien avec les ministères sectoriels, les agences d’investissement, les ambassades, et les opérateurs économiques. Cela implique :

  • de définir un positionnement économique clair (pays de la transition énergétique, hub logistique régional, plateforme bleue saharienne, etc.) ;
  • de bâtir une identité visuelle et narrative forte, déclinée sur tous les supports et canaux ;
  • de former et mobiliser des ambassadeurs économiques (chefs d’entreprises, diplomates, diaspora) ;
  • de rendre la communication sur les réformes plus lisible, plus accessible, plus engageante.

Car dans un monde où l’économie est aussi une affaire de perception, un pays qui ne communique pas ses atouts, qui ne raconte pas son ambition, finit par disparaître du radar des investisseurs. Et cela, aucun plan de développement ne peut se le permettre.

Les enjeux diplomatiques

Dans la configuration géopolitique actuelle, la communication est devenue un pilier incontournable de la diplomatie moderne. Elle ne se limite plus à la publication de communiqués officiels ou à la couverture protocolaire des visites d’État. Elle est aujourd’hui un outil de projection stratégique, une arme d’influence douce (soft power), et un levier de repositionnement dans les équilibres régionaux et mondiaux.

Conceptualisée dans les relations internationales sous le terme de diplomatie publique, cette forme de communication vise à influencer les perceptions extérieures, bâtir la réputation d’un État, et cultiver un capital de sympathie et de confiance auprès des peuples et des élites étrangères. Elle repose sur trois composantes essentielles : l’information stratégique, l’écoute proactive et la promotion d’un récit national cohérent, positif et crédible.

A ce niveau, la Mauritanie dispose d’un positionnement géostratégique singulier, au carrefour du Maghreb, du Sahel et de l’Afrique subsaharienne. Cette spécificité lui confère un rôle potentiel de passerelle, de médiateur, et d’acteur pivot, que la diplomatie traditionnelle s’efforce d’incarner à travers sa participation active à des mécanismes multilatéraux. Mais cette vocation régionale et continentale ne peut pleinement se réaliser sans une communication diplomatique maîtrisée et ambitieuse, qui accompagne, amplifie et crédibilise l’action extérieure de l’État.

Or, dans un monde saturé d’images et de récits concurrents, il ne suffit plus de jouer un rôle discret dans les négociations ou les coalitions : il faut être capable de faire savoir, de faire valoir, et de faire adhérer. Cela passe par une stratégie de State Branding Diplomacy, c’est-à-dire par la construction d’un récit cohérent sur ce que la Mauritanie incarne sur la scène internationale : une diplomatie de paix, d’équilibre, et de médiation, fondée sur la stabilité, l’attachement au multilatéralisme, et la contribution à la sécurité régionale.

Prenons quelques exemples. Le rôle de la Mauritanie dans le dialogue inter-malien, ses positions mesurées sur les crises régionales, ou encore sa présidence tournante de l’Union Africaine en 2014, auraient pu (ou dû) être davantage valorisés dans les médias panafricains et internationaux. Chaque position diplomatique est une opportunité de renforcer le crédit du pays, à condition qu’elle soit expliquée, contextualisée et relayée. Cela nécessite des porte-paroles aguerris, des relais médiatiques, des plateformes numériques bilingues, et une capacité d’anticipation en matière de diplomatie publique.

Des États comme le Rwanda, le Ghana ou encore les Émirats arabes unis ont saisi cette dynamique depuis une décennie. Ils mobilisent les outils de la communication stratégique – think tanks, médias internationaux, forums globaux, campagnes numériques ciblées – pour façonner leur image de marque sur la scène diplomatique. Ils ne laissent pas les autres raconter leur histoire.

La Mauritanie, de par son histoire, sa tradition de négociation, sa culture islamique modérée et son positionnement de stabilité dans une région instable, possède tous les ingrédients d’un soft power à activer. Mais sans récit maîtrisé, sans visibilité cohérente, sans mise en valeur des initiatives de paix, le risque est grand de rester à la marge du concert diplomatique, malgré une réelle valeur ajoutée géopolitique.

La diplomatie d’influence ne s’improvise pas. Elle exige des stratégies narratives claires, une cartographie rigoureuse et pertinentes des cibles (pays partenaires, cercles d’influence, opinion publique internationale), et une articulation fluide entre l’action diplomatique, la communication présidentielle, les représentations à l’étranger et les médias nationaux. À cet égard, la création d’un pôle de communication diplomatique, structuré et transversal, pourrait constituer une avancée majeure pour amplifier la voix mauritanienne dans les arènes régionales et multilatérales.

Car aujourd’hui, être entendu est aussi important que d’avoir raison. Et dans le tumulte du monde, une diplomatie silencieuse, aussi vertueuse soit-elle, est une diplomatie invisible.

Communication intérieure et communication extérieure : deux volets indissociables

Dans toute stratégie de communication d’État, la frontière entre l’interne et l’externe est désormais poreuse. Ce qui est dit à l’intérieur du pays sera immédiatement repris à l’extérieur ; ce qui est publié sur la scène internationale peut résonner profondément dans l’opinion publique nationale. À l’ère des réseaux sociaux et des médias globaux, la cohérence entre communication intérieure et diplomatie publique n’est plus une option. C’est une exigence stratégique.

La communication intérieure a pour vocation première de rendre l’action publique lisible, tangible et compréhensible pour les citoyens. Elle doit permettre de nourrir le débat démocratique, d’expliquer les réformes, de lutter contre les fausses informations, et de consolider le lien de confiance entre l’État et la population.

En Mauritanie, cette mission reste souvent fragilisée par une approche descendante, institutionnelle, voire parfois superficielle de la parole publique. Les citoyens entendent des annonces, mais comprennent rarement la logique, la portée ou les bénéfices des mesures annoncées. Trop peu de canaux adaptés aux différents profils socioculturels ; trop peu de formats accessibles ; trop peu de présence sur les plateformes fréquentées par la jeunesse.

Or, face à une population majoritairement jeune, multilingue, connectée et critique, il faut une communication empathique, interactive, et surtout inclusive. Des reformes du secteur de la santé ou de l’éducation, par exemple, ne peuvent être simplement communiquées en conférence de presse et à la une de la télévision nationale : elle doit faire l’objet d’explications dans les langues nationales, de vidéos pédagogiques, d’émissions radio communautaires, voire de consultations publiques.

De même, dans les régions éloignées ou en proie à la pauvreté, le déficit de communication peut être perçu comme un abandon ou une indifférence, nourrissant les tensions et la méfiance, mais aggravant la fracture entre Nouakchott et la Mauritanie profonde. Il est donc impératif d’ancrer la communication d’État dans une logique de proximité : être là où les gens vivent, parlent, s’informent.

À l’international, la communication d’État vise à protéger les intérêts nationaux, promouvoir les priorités stratégiques du pays, et renforcer son influence. Elle prend la forme de déclarations officielles, de participations à des forums, de campagnes d’image, de diplomatie digitale, ou encore de tribunes signées par les plus hautes autorités.

Mais ici aussi, la Mauritanie souffre d’un déficit de projection. Peu présente dans les grands médias internationaux, absente des grandes campagnes de branding africain, elle laisse souvent les autres parler pour elle, voire parler à sa place. Or, l’absence de récit ouvre la voie à la caricature ou à l’invisibilité.

Un pays comme le Sénégal, par exemple, a su conjuguer ses réformes économiques à une diplomatie sportive et culturelle qui lui a permis de rayonner bien au-delà de la sous-région. La communication extérieure ne doit pas être seulement institutionnelle ; elle doit être aspirationnelle, inspirante, mobilisatrice. Elle doit porter la voix de la Mauritanie non seulement dans les enceintes diplomatiques, mais aussi dans les médias, les universités, les cercles économiques et culturels.

Le cœur du défi, c’est la cohérence. Il ne peut y avoir un message pour l’intérieur et un autre pour l’extérieur. Il ne peut y avoir une vision défendue par la Présidence, mais mal portée par les ministères sectoriels ou contredite par les organes publics. Une déclaration présidentielle qui n’est pas relayée par les canaux locaux, ou une politique publique qui n’est pas alignée à l’image projetée à l’étranger, fragilise l’ensemble du dispositif étatique. Les exemples sont nombreux depuis des décénies.

C’est pourquoi il est urgent de concevoir une architecture de communication gouvernementale articulée, intégrée, et capable de faire vivre un récit national unifié, que ce soit à Nouakchott, dans les wilayas, ou sur la scène internationale. Car dans le monde actuel, toute incohérence se paie cher, en crédibilité, en influence et en stabilité.

Ce que signifie une maîtrise parfaite de la communication

Parler de maîtrise parfaite de la communication d’État, ce n’est pas évoquer un simple souci de forme, ni un exercice cosmétique. C’est aborder la capacité stratégique d’un gouvernement à structurer sa parole, à anticiper les perceptions, à créer du lien avec ses citoyens et à projeter une vision claire à l’international. C’est concevoir la communication comme une politique publique à part entière, avec ses objectifs, ses moyens, ses indicateurs, et sa gouvernance. Trois piliers en constituent le socle : la vision, la cohérence et la culture du récit.

D’abord : Vision, cohérence et anticipation

À la base de toute communication d’État efficace, il y a une vision. Une vision partagée de ce que le pays est, de ce qu’il veut devenir, et de la manière dont il entend y parvenir. Cette vision doit être traduite en narratif national structuré, qui ne se limite pas à des slogans ou à des déclarations ponctuelles, mais qui s’articule autour de valeurs constantes, d’ambitions claires, et de priorités assumées.

Une telle approche exige d’anticiper la communication plutôt que de la subir. Dans bien des cas, les autorités ne communiquent qu’en réaction face à une rumeur, une crise, une controverse. Or, une gouvernance moderne suppose une communication proactive, qui prépare le terrain, construit l’adhésion, et prévient les malentendus.

Prenons l’exemple d’un plan de réformes économiques : s’il n’est pas adossé à un narratif fort, à une cartographie des publics cibles, à une série de messages déclinés dans différents formats, il risque d’être perçu comme technique, lointain, voire menaçant. La communication devient alors un levier de transformation. Elle ne suit pas l’action publique, elle en fait partie intégrante.

Ensuite, savoir parler d’une seule voix, avec pluralité de visages

Dans un État, la communication ne doit pas être une chorale désaccordée. La multiplicité des acteurs ne doit jamais se traduire en cacophonie. Une maîtrise parfaite suppose au contraire une coordination rigoureuse, où chaque ministère, chaque porte-parole, chaque institution parle d’une même voix, en cohérence avec la vision présidentielle et les priorités gouvernementales.

Mais cela ne signifie pas uniformité. Bien au contraire : il faut articuler la pluralité des visages (techniques, politiques, administratifs et communautaires) autour d’un message central partagé. C’est ce qu’ont su faire plusieurs gouvernements lors de la crise du COVID-19. Au Sénégal, par exemple, les conférences conjointes entre le ministre de la Santé, les scientifiques et les autorités religieuses ont permis de crédibiliser le message sanitaire tout en respectant les sensibilités. Au Canada, la coordination entre le Premier ministre, les ministres sectoriels et les autorités provinciales a permis de délivrer un message unifié, tout en tenant compte des contextes locaux.

Dans ces cas, la force de la communication publique résidait dans l’alignement entre le discours, les acteurs et le moment. Pour la Mauritanie, cela implique de professionnaliser les fonctions de porte-parole, de créer des cellules de coordination interinstitutionnelles, et de définir des protocoles clairs pour la gestion de la communication gouvernementale.

En fin, intégrer la culture du récit, de l’explication et du rendu de compte

Maîtriser la communication d’État, c’est intégrer une culture du récit, c’est-à-dire la capacité à raconter l’action publique, à donner du sens aux politiques menées, à expliquer, à illustrer, à incarner. Un gouvernement qui ne raconte pas ce qu’il fait laisse place aux rumeurs, aux doutes, voire à la désinformation.

Prenons un exemple simple : une réforme des subventions. Annoncée brutalement, sans pédagogie, sans contextualisation, elle peut susciter rejet et colère. Mais expliquée avec clarté, en détaillant les raisons de la réforme, les alternatives étudiées, les mesures d’accompagnement prévues et les bénéfices attendus, elle peut être acceptée, voire soutenue. Cela suppose d’aller au-delà du communiqué officiel : produire des infographies, des vidéos, des émissions interactives, des rencontres citoyennes.

Plus largement, le gouvernement doit rendre des comptes, de façon régulière, sur l’état d’avancement des engagements pris. Il ne s’agit pas seulement de communiquer en amont ou pendant l’action, mais aussi en aval pour évaluer, reconnaître les limites et célébrer les progrès. Cette approche consolide la confiance et l’appropriation citoyenne.

Une communication d’État maîtrisée n’est donc pas un luxe. C’est une méthode, une exigence, un outil de stabilité et de performance. Elle permet de gouverner mieux, de gouverner ensemble, et de gouverner durablement.

Une communication d’État performante n’est jamais l’œuvre d’un seul homme, ni d’un seul organe. Elle repose sur une mécanique collective où chaque institution, chaque acteur, chaque canal joue un rôle spécifique dans un dispositif globalement orchestré. Cette cohérence n’est ni spontanée ni naturelle : elle résulte d’une volonté politique, d’un cadre organisationnel précis, de compétences professionnelles assumées, et d’une culture partagée de la communication publique comme levier stratégique de gouvernance.

La Présidence de la République incarner la vision et trace le récit fondateur

La Présidence est l’épicentre du pouvoir symbolique et politique. À ce titre, elle porte la vision stratégique de la nation, articule les grandes priorités de l’État et incarne, dans son expression comme dans ses silences, la posture du pays face à ses défis.

La parole présidentielle est à la fois solennelle, structurante et performative : elle trace la direction, engage les institutions, rassure les citoyens et capte l’attention du monde. Chaque discours, chaque présence à un sommet international, chaque message à la Nation doit donc s’inscrire dans une architecture narrative cohérente, pensée en lien avec les enjeux du moment, mais aussi avec la trajectoire historique du pays.

Cela suppose que la Présidence soit dotée :

  • d’un Conseiller Spécial en communication stratégique, capable d’arbitrer entre les impératifs politiques et les logiques médiatiques ;
  • d’un pôle de production de contenus, intégrant rédaction, audiovisuel, traduction, et publication multicanale ;
  • d’une capacité de veille et d’analyse d’opinion, pour ajuster la tonalité, le tempo et les canaux de diffusion selon les publics.

La Présidence ne peut improviser sa communication ; elle doit la piloter comme un instrument de souveraineté narrative.

La Primature harmonise, synchronise, impulse l’action gouvernementale

Le Premier ministre est le maillon central entre la vision politique et sa traduction opérationnelle. À ce titre, la Primature doit jouer le rôle de chef d’orchestre de la parole gouvernementale, en s’assurant que tous les ministères s’expriment dans un même langage stratégique, sans redondance, sans contradiction, et avec clarté.

Son rôle est triple :

  1. Coordination interinstitutionnelle : le Conseiller Principal à la Communication de la Primature doit réunir régulièrement les responsables communication des ministères pour assurer l’alignement narratif.
  2. Déploiement des grandes campagnes transversales (réformes, crises, politiques prioritaires), avec des plans d’action, des messages validés, des visuels et des formats normalisés.
  3. Suivi de l’impact : elle doit mesurer, à travers des indicateurs clairs, l’efficacité des messages et adapter les méthodes en conséquence.

Les ministères sectoriels traduisent, contextualisent, font adhérer

Chaque ministère est détenteur d’une expertise sectorielle qu’il est seul à pouvoir expliquer avec précision et pédagogie. Mais trop souvent, la communication sectorielle reste bureaucratique, descendante ou cantonnée à des comptes rendus d’activités. Pour être efficace, elle doit :

  • traduire la politique publique en langage citoyen ;
  • contextualiser les réformes à l’échelle locale ou communautaire ;
  • favoriser l’appropriation des actions par les bénéficiaires.

Cela implique une transformation des pratiques : passer d’un modèle administratif à un modèle narratif. Les ministères doivent produire des récits d’impact, des témoignages, des contenus adaptés aux réalités sociolinguistiques du pays.

Chaque ministère devrait être doté :

  • d’un chargé de communication et porte-parole formé au storytelling institutionnel ;
  • d’un budget dédié à la communication et à la vulgarisation ;
  • de canaux de diffusion adaptés à ses cibles (jeunes, enseignants, paysans, patients, entrepreneurs…).

La finalité ? Que chaque citoyen sache ce que l’État fait pour lui dans chaque secteur.

Les médias publics : Moderniser, accompagner, représenter

L’AMI, TVM et Radio Mauritanie constituent les bras opérationnels de la communication publique. Mais ils ne peuvent se contenter de relayer les discours officiels. Ils doivent être des acteurs actifs de l’animation de la vie publique, capables d’informer, d’expliquer, mais aussi de donner la parole aux citoyens, de décrypter les politiques, et de contribuer à l’esprit critique dans un cadre respectueux.

Cela suppose une modernisation profonde :

  • refonte éditoriale : plus de débats, de formats courts, de micro-trottoirs, d’enquêtes terrain; bref un journalisme de proximité et de substance
  • investissements technologiques : studios mobiles, sous-titrage, traduction instantanée ;
  • formation continue des journalistes publics à la neutralité, à la pédagogie politique, à l’éthique professionnelle.

Ces médias doivent devenir des plateformes multilingues, transgénérationnelles et interactives, au service de la cohésion nationale et de la transparence démocratique.

Les représentations diplomatiques amplifient, relayent et incarnent le pays à l’extérieur

Les ambassades, consulats, missions permanentes à l’Union Africaine, à l’ONU ou auprès des bailleurs de fonds sont les vitrines avancées de la Mauritanie. Elles doivent porter un discours coordonné, actualisé, et valorisant les initiatives nationales dans les domaines économique, culturel, environnemental et sécuritaire.

Cela nécessite :

  • des fiches narratives prêtes à l’emploi sur les réformes, les atouts du pays, les priorités stratégiques ;
  • des événements réguliers de présentation du pays (forums, projections, expositions) ;
  • une présence numérique active via des comptes sociaux institutionnels en plusieurs langues.

Les diplomates doivent être formés à la diplomatie d’influence et à la communication stratégique, en complément des compétences protocolaires classiques. Car dans un monde saturé de messages, la voix qui porte est celle qui sait se raconter.

En résumé, la communication d’État ne peut réussir que si chaque acteur institutionnel sait où il se situe dans le récit national, comprend son rôle, et dispose des moyens humains, techniques et financiers pour l’assumer. C’est un effort de gouvernance collective, qui repose sur la confiance, la coordination et la professionnalisation. La parole publique doit être un fleuve à plusieurs affluents, mais jamais un delta brouillon.

Propositions concrètes pour une communication d’État cohérente et rigoureuse

Pour que la Mauritanie puisse déployer une communication d’État à la hauteur de ses ambitions, il ne suffit pas de produire plus de contenus, ni de multiplier les annonces. Il faut bâtir une architecture de gouvernance de la communication publique, structurée, professionnalisée, alignée, et capable de produire un récit national cohérent.

Voici huit propositions concrètes pour enclencher ce changement de paradigme.

  1. Élaborer une stratégie nationale de communication publique

Il est urgent de concevoir un cadre stratégique pluriannuel, piloté par la Primature ou la Présidence, définissant :

  • une vision partagée de la communication publique,
  • les priorités narratives (cohésion nationale, réformes économiques, projection régionale, etc.),
  • les cibles internes et externes,
  • les outils, les indicateurs de suivi, et le budget dédié.

Ce document de référence devra être décliné en plans de communication sectoriels par ministère et institution, pour assurer la cohérence d’ensemble.

  • Créer un Secrétariat général à la communication de l’État

Rattaché à la Primature ou à la Présidence, ce Secrétariat transversal jouerait un rôle de coordination, d’harmonisation et de veille stratégique. Il regrouperait des experts en communication politique, relations publiques, diplomatie numérique, design narratif, et data-visualisation.

Ses fonctions principales :

  • valider les messages d’intérêt national ;
  • coordonner les campagnes transversales ;
  • offrir un appui aux ministères et aux ambassades ;
  • suivre les tendances, crises, et perceptions dans les médias nationaux et internationaux.
  • Institutionnaliser un réseau de responsables communication dans tous les ministères

Chaque ministère devrait disposer d’un responsable communication formé, mandaté et intégré dans le cycle de décision. Ce dernier ferait le lien entre les directions techniques, le cabinet politique, les médias publics, et les plateformes numériques.

Un cadre de concertation mensuel entre ces responsables et le Secrétariat général à la communication garantirait un alignement narratif permanent, tout en assurant l’échange de bonnes pratiques.

  • Moderniser et repositionner les médias publics comme outils d’information citoyenne

AMI, TVM et Radio Mauritanie doivent évoluer vers un modèle de service public moderne, capable de produire des contenus informatifs, plurilingues, accessibles et innovants. Cela nécessite :

  • une révision des lignes éditoriales ;
  • un appui en équipements et ressources humaines ;
  • une formation continue en journalisme d’intérêt général, pédagogie politique, et formats numériques.

Ces médias doivent devenir des partenaires actifs du gouvernement dans la diffusion et la mise en débat de l’action publique.

  • Structurer la communication digitale institutionnelle

Il faut professionnaliser la présence numérique de l’État :

  • harmoniser les comptes sociaux officiels (logos, noms, charte graphique) ;
  • produire des formats adaptés aux plateformes (vidéos courtes, carrousels, lives, stories) ;
  • renforcer les équipes en community managers, data analysts, et créateurs de contenu visuel ;
  • élaborer un guide de modération et d’interaction avec les citoyens.

Ceci vise à faire des réseaux sociaux des canaux de transparence, de proximité et de mobilisation.

  • Mettre en place un système de veille et d’analyse d’opinion publique

Comprendre les perceptions citoyennes est une condition de l’ajustement stratégique. Un observatoire de la communication publique, adossé au Secrétariat général, pourrait produire :

  • des baromètres réguliers de confiance institutionnelle ;
  • des cartographies des conversations sur les réseaux sociaux ;
  • des synthèses de presse et d’analyse de sentiment ;
  • des alertes précoces en cas de désinformation ou de crise d’image.

Cela permettrait de passer d’une communication descendante à une communication dialogique.

  • Investir dans la formation et la professionnalisation

Il ne peut y avoir de stratégie ambitieuse sans femmes et hommes bien formés. L’État devrait :

  • renforcer les programmes de formation initiale en communication publique, journalisme et relations internationales ;
  • financer des cycles de spécialisation pour les fonctionnaires communicants (école d’administration, formations certifiantes) ;
  • organiser des bootcamps annuels interinstitutionnels de simulation de communication de crise, de design de campagne ou de diplomatie numérique.
  • Allouer des moyens substantiels pour la communication d’État

Aucune stratégie ne peut exister sans financement. Il est nécessaire d’inscrire dans le budget de l’État un fonds dédié à la communication gouvernementale, couvrant :

  • la production de contenu multimédia ;
  • les campagnes de sensibilisation ;
  • l’achat d’espace dans les médias privés ;
  • les événements de visibilité (forums, caravane citoyenne, expositions, etc.).

Ce budget devrait être géré de manière transparente, avec un volet de financement incitatif pour les ministères les plus actifs ou innovants.


En conclusion : Communiquer, c’est gouverner

Il n’y a plus aujourd’hui de pouvoir sans narration, ni de gouvernance durable sans communication maîtrisée. Dans un monde où les États se disputent l’attention autant que les ressources, où chaque image, chaque mot, chaque silence peut faire basculer une réputation ou une politique, la communication est devenue un pilier de la souveraineté nationale.

Pour la Mauritanie, le temps est venu de dépasser une approche fragmentée, réactive, parfois timorée, de la parole publique. Ce qui est en jeu, ce n’est pas l’image superficielle du pays, mais la confiance des citoyens, la crédibilité des institutions, et la capacité de la Nation à se faire entendre et respecter.

Communiquer, ce n’est pas embellir. C’est rendre lisible, audible et crédible l’action publique. C’est aussi construire une relation de responsabilité avec la population, anticiper les perceptions, répondre aux inquiétudes, porter une vision commune. C’est expliquer, incarner, convaincre. C’est, enfin, assurer la cohérence entre ce que l’État fait, ce qu’il dit, et ce que les citoyens ressentent.

Cela exige un changement profond : dans les mentalités, dans les structures, dans les pratiques. Il ne s’agit pas de créer des effets de communication, mais de construire une véritable culture de communication publique, rigoureuse, humaine et stratégique.

La Présidence, la Primature, les ministères, les médias publics, les ambassades, les collectivités, tous doivent jouer leur rôle. Tous doivent comprendre que la communication d’État est un devoir de transparence, un outil de cohésion, un levier d’influence, et une promesse de modernité.

Car un État qui ne maîtrise pas son récit s’expose à ce que d’autres le racontent à sa place — et pas toujours en bien. L’histoire de la Mauritanie mérite mieux. Elle mérite d’être portée haut, racontée avec force, et entendue avec respect.

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