Le titre du roman de Dr. Tidiane Koita retrace le destin de Bangali. Ce que l’auteur montre à travers ce récit saisissant c’est toute la valeur que peut retrouver la vie dans l’âme de quiconque se voit offrir la chance de revisiter l’existence avec un prisme nouveau : « Une deuxième naissance dans un fracas de tôles. » Cela est tout aussi révélateur de la foi qui peut transporter Bangali dans les dédales d’un univers parsemés d’embûches. Embûches, mais aussi sacrifices. Pour son objectif, Bangali ne se faisait aucun cadeau. La preuve dira le narrateur : « Plusieurs fois, notre bande de copains avait organisé des virées nocturnes, mais, concentré sur ses études, Bangali préférait rester à la résidence universitaire. Il a soutenu un doctorat d’urbanisme avec une mention très honorable et les félicitations du jury. » Ici, c’est l’indice de présence de l’auteur dans le récit qui nous parvient. Car Bangali, c’est à n’en pas douter Dr. Tidiane Koita, parti de sa Mauritanie natale à la poursuite de l’excellence par les études. Résultat un professionnel infatigable qui gagne la confiance de ceux qui ont vite découvert en lui valeur humaine et talent.
« Bangali avait un rythme de vie trépidant et une cadence de travail intense et effrénée. Ses journées étaient consacrées à la conduite et à la coordination d’activités accaparantes. » Voilà une raison tout à fait valable de se laisser transporter par la lecture de ce récit d’une autre vie comme dans une navette confortable où l’auteur vous invite à vous installer non pour accompagner un voyageur au bout de son destin mais surtout pour admirer au fil des pages un acteur dans l’armure d’un héros à qui l’aventure promet surprises et défis.
L’auteur nous promet ceci : « Tout au long de sa carrière professionnelle, Bangali a assuré dans différentes collectivités des responsabilités passionnantes. Comme un forcené, il ne comptait ni son temps ni son énergie. Dans le présent ouvrage, premier d’une série, le lecteur pénétrera dans les captivantes vies professionnelles d’un cadre hyperactif qui a eu tout le mal du monde pour mener à un moment donné ses missions. Il scrutera et appréhendera les moments qui ont organisé ses responsabilités dans un cabinet politique, soumis à des assauts répétés d’élus ambitieux. »
Pour comprendre cette « singulière expérience », il sera question de suivre Bangali dans sa capacité à saisir comment vit un service politique , comment gérer les interactions, les conflits et les enjeux qui en jalonnent le fonctionnement.
Nous serons amenés à chercher le dénouement d’un grave accident de la voie publique qui va consacrer de nouveaux rebondissements dans la vie d’un homme qui s’apprête à prendre sa retraite.
C’est là que le lecteur ne s’octroiera pas le droit à l’ennui. Avec un brin de ruse on peut déjà se permettre de lire un film dont le héros, l’acteur principal apparait comme le premier homme chutant dans l’univers parce que sorti de son paradis. C’est à imaginer le sort de tout migrant affrontant l’inconnu sans arme. Voilà Bangali, « sans un sou en poche » transporté gracieusement par un ami belge dans sa voiture jusqu’à Paris. Il se retrouve au bout de deux jours de route à la Place du Trocadéro bouillonnant au rythme de klaxons. Il est vite accueilli par le spectacle de vendeurs sénégalais à la sauvette poursuivis par des policiers parisiens, de nombreux touristes et promeneurs flânant ou photographiant la tour Eiffel. Il y avait de quoi fasciner Bangali l’enfant de Kaédi qui a quand même séjournée au Maroc.
Dans un pays pas comme le sien, Bangali avait espéré rencontrer dans la rue « un cousin vivant » là. En vain. Il faut donc suivre Bangali pour savoir comment il va s’en sortir. Saisissant non ! Surtout qu’il nous est donné de nous attacher à un personnage sympathique à qui l’on souhaitera victoires sur victoires et qui sera comme par protection divine amené à suivre son destin. Un destin qui se traduira finalement par un parcours professionnel admirable puisqu’il va se retrouver au sommet avec des responsabilités publiques de haute facture. Il faut dire que le narrateur sert un portrait moral de son personnage qui « malgré les trahisons, les offenses et parfois même le mépris, n’avait pas gardé en lui la moindre trace de haine ni la volonté de faire mal (car) il avait continué à croire en l’Homme. » Cette croyance en l’homme, Bangali nous la prouve lorsqu’on le découvre se souvenant de sa jeunesse mais surtout en étant transporté dans l’univers de cette jeunesse dont il était désormais loin à partir de 1983 mais auquel il s’était fait le devoir de rester attentif ne serait-ce que pour faire partie des acteurs de son évolution. « Impliqué dans différentes actions de développement, il est pleinement concentré sur des projets relatifs à sa ville natale, située sur les bords du fleuve Sénégal. Kaédi, la perle du Fouta, est une cité mythique qu’il ne pourra jamais oublier et où il a testé ses premiers pas de baroudeur en foulant ses nombreux quartiers. Il s’y épanouit chaque fois qu’il y séjourne. Comment en aurait-il été autrement ? Il est parfois nostalgique et traversé par le mal du pays natal. Les défis auxquels cette terre est confrontée pour son avenir le hantent. Ils lui pèsent même et le rendent parfois triste. Les crises sociales et économiques qui s’y développent sont solidement enracinées. Leur traitement se fera dans la durée et leur réussite dépendra de plusieurs paramètres et compétences. Bangali espère avoir un jour l’occasion de participer concrètement au développement du pays des mille poètes que la décoration de son bureau rappelle toujours à son souvenir. Cette terre coincée entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche continue de l’attirer comme un aimant. Il nourrit secrètement le désir d’y retourner un jour, tant elle lui a donné.
Il adore la belle ville de Kaédi, creuset de la diversité de la Mauritanie, accueillant d’importantes réussites sociales, économiques et universitaires. Il l’aime comme jamais il n’a affectionné une autre cité. Il y a vécu pendant ses dix premières années d’enfance avant d’aller rejoindre Fodié, son oncle maternel, à Nouakchott, la capitale. À Kaédi, il est secoué par le rythme de la vie, ses cadences et sa répétitivité. Les odeurs sont agréables. Les espaces publics sont constamment animés. Les youyous nocturnes provenant des jeux des enfants sont enivrants. On y vit des scènes de vie grandeur nature. Les couleurs du marché où les femmes exposent des boubous multicolores, teintés localement, sont époustouflantes. Bangali aime les odeurs de cuisine, l’élégance des femmes se dandinant dans les ruelles, les enfants se pourchassant au « front de la mosquée », les pêcheurs dans leurs petites pirogues sous un beau soleil couchant sur le fleuve Sénégal, les troupeaux de vaches au retour des pâturages entraînant derrière eux des nuages de poussière, les paysans heureux de rapporter à leur domicile les belles récoltes saisonnières. Ces scènes de vie défilent quelquefois sous ses yeux. Nostalgique, il revit les grondements violents des tornades. À Kaédi, tout est bon et agréable. En parcourant les ruelles du vieux quartier de Gataga, on entend les bruits des ustensiles de cuisine, le muezzin, les interminables salutations matinales et les incessantes qasidas, chants religieux des adeptes de Moukhadam Guidado dans sa vaste concession familiale. »
Voilà de quoi découvrir le sens de l’enracinement du héros d’une deuxième vie dans un fracas de tôles. L’homme est pétri de reconnaissance lorsqu’il évoque le souvenir de ceux qui l’ont marqué à l’image de son oncle maternel : « Il aimait beaucoup Fodié, qui était attentionné. C’était un homme au grand coeur. Généreux et tolérant, sa maison était ouverte à tous. Mais par timidité, Bangali n’a jamais pu lui dire son amour de vive voix avant son décès en décembre 2002. Quelques-uns de ses gestes lui permettaient peut-être de deviner cet attachement pour lui. »
De 1983 à février 2020, Bangali a rempli une belle carrière faite de hauts et de bas. Mais « le fracas de tôles » surgira comme un élément modificateur dans une trame romanesque. Un accident de la route survient alors que Bangali était en plein dans ses ambitions politiques. Il frôle la mort. « La photo et la vidéo de la carcasse de la Clio blanche avaient fait le tour des bureaux. Les écrans des ordinateurs étaient, dit-on, inondés d’images de la voiture. Des collègues étaient partis l’observer au garage municipal où elle était garée en attendant d’être récupérée par l’expert de l’assureur. Au cabinet, la stupéfaction fut grande. Les collaboratrices étaient perturbées. En pleurs, Marido, son assistante, appela la mairie de Saint-Prouest, ville où il est élu depuis 2008 et où il avait en charge l’urbanisme, pour informer de l’événement.
Devenus muets et incapables de prononcer le moindre mot à la vue de la voiture fracassée, certains agents ont pensé qu’il était mort, emporté par le camion fou de la nuit. Imaginez une Clio 4 compressée et transformée en Twingo. Voilà l’état dans lequel le véhicule accidenté s’était retrouvé. Selon les premiers témoins, du sang avait éclaboussé le parebrise et la vitre de la portière avant droite. La nouvelle du traumatisme crânien avait effrayé des colistiers du maire. Le responsable du garage municipal qui a été un des premiers à accéder à l’automobile se souvient d’avoir retrouvé la chaussure droite à lacets de mon ami sous le siège avant passager. La violence du choc l’a arrachée de son pied. Malgré ce violent choc, Bangali a eu beaucoup de chance de n’avoir pas eu de membres brisés. Debout aujourd’hui et marchant d’un pas encore hésitant, il a échappé au pire. Sa deuxième naissance s’est ainsi passée en pleine campagne.
Aïcha, la dernière collègue à l’avoir vu après la réunion de quartier, avait beaucoup pleuré lorsque dans la nuit elle avait été informée par le cadre technique d’astreinte. Elle avait repensé à leur scène d’au revoir sur le parking où ils avaient garé leurs voitures. Le « fais attention » que le directeur de cabinet lui avait lancé avant de monter dans leurs véhicules avait résonné dans sa tête pendant toute la nuit, confie-t-elle. Quant à Antoinette, dans son bureau le lendemain matin, elle fut plongée dans un mutisme complet pendant plusieurs minutes. Les yeux fixés sur les photos exposées dans son bureau, elle ne dit rien. »
Ici, se justifie Un jour, une autre vie ! le titre de ce récit plein d’enseignements de Bangali, l’autre de Dr. Tidiane Koita auteur par ailleurs d’un premier roman intitulé « Le parcours inachevé d’un enfant noir » où apparait d’ailleurs Bangali. Ce prénom qui permet à l’autuer de s’offrir un couloir de sympathie vers ses cousins à plaisanterie les jafunanko dans l’univers culturel des soninké.
K-Tocka