Le député et président du Mouvement abolitionniste(IRA) Birame Dah Abeid actuellement en Europe a prononcé hier sa première allocution au cours de ce séjour sur le vieux continent.
Ce discours chaudement applaudi a eu pour cadre la ville italienne de Ternie, qui accueille les artistes, activistes des droits de l’Homme et hommes politiques, qui soutiennent IRA-Mauritanie dans sa lutte pour les droits humains, l’Etat de droits et le développement en Mauritanie.
La foule qui se pressait pour écouter cette allocution était constituée d’artistes, d’intellectuels, de défenseuses de droits humains, et par toute la communauté de militants de IRA Italie, la plus ancienne d’Europe.
C’est donc sous un tonnerre d’applaudissement et devant un amphi archicomble, que le député et leader du mouvement abolitionniste IRA a remercié d’emblée toute l’assemblée et plus particulièrement cette organisation pour « son soutien dès le début et son soutien pour toujours. »
« Les premières oreilles attentives à notre cause, je les ai trouvées en Italie »
Et il entra dans le vif du sujet en prononçant le discours que voici : « Au début de mon combat et en 2009, lorsque je suis venu en Europe pour la première fois les premières oreilles attentives à notre cause, je les ai trouvées en Italie. D’abord en la personne d’Ivana Dama. Ensuite tous les autres Antonio, Marco…sans oublier les gens du parti radical, les gens de Amnesty, sans oublier les universitaires.
Ainsi l’Italie a constitué le premier foyer en Europe, en Occident, en dehors de la Mauritanie qui soutenait notre cause à nous.
« Nous étions interdits en Mauritanie. Nous étions pourchassés, diabolisés »
Nous étions interdits en Mauritanie. Nous étions pourchassés, diabolisés. On nous interdisait de nous réunir. On nous interdisait d’aller contacter les gens et leur parler. Nous étions traînés devant les tribunaux dans des procès d’opinion, des procès politiques. Et les jeunes hommes qui me suivaient dans cette lutte étaient torturés. Torturés dans les cachots de la police mais aussi publiquement.
Yacoub en connaît quelque chose. Il a subi un mois de torture dans un commissariat de police. Personne ne savait où il se trouvait. Il n’avait aucun soutien. Il était battu, martyrisé, privé de manger, privé de boire, privé de sommeil.
Leila aussi a été a plusieurs reprises agressée. Ella été défigurée par une bombe lacrymogène. Elle a perdu beaucoup de sang. Et depuis lors elle met des lunettes pour corriger sa vision.
Ces gens ont été aussi lourdement éprouvés par les agressions de la police.
30 policiers dans la rue ont fait subir à Leila une séance publique de tabassage devant les caméras.
« Au bout de dix ans, on a subi dix sept (17) procès politiques, des procès d’opinion, de 2009 à 2019 »
J’ai cité la violence physique qu’ont subie Yacoub et Leila parce que ce sont les seuls militants présents ici aujourd’hui.
Des dizaines d’autres jeunes femmes, jeunes hommes ont subi aussi autant de maltraitance, d’exactions de tortures ; autant de violences et d’humiliations.
Au bout de dix ans, on a subi dix sept (17) procès politiques, des procès d’opinion, de 2009 à 2019. Des dizaines de militantes et de militants ont été blessés, handicapés à vie parfois. Des dizaines de nos militants ont été condamnés à des peines qui arrivent à 15 ans de prison parfois. Nous avons été presque sous un blocus dans notre quartier, le quartier de PK, le quartier où se trouve ma maison qui a été visité par Ivana, par Marco. Donc nous avions été mis à l’écart de la vie nationale pendant 10 ans. Nos militants ne pouvaient pas travailler, ni dans le secteur public ni dans le secteur privé. Ils ne pouvaient pas aller à l’intérieur du pays. Nous étions fichés, surveillés. La vie était dure. C’était une prison qui s’ajoute à l’autre prison qu’on visitait de manière récurrente. Au bout de dix ans j’ai fait 4 prisons insalubres dans des lieux différents (Nouakchott, Rosso, Aleg) et même pour mes amis (Nouakchott, Aioun, Bir Moghrein…) Tout le pays était une prison pour IRA, pour Biram et ses militants. Parce qu’on a décidé d’affronter l’esclavage qui sévit dans nos milieux depuis plus de 1000 ans. Et l’esclavage a été pratiqué avant l’islam mais il a été renforcé par les enseignements islamiques des castes et des groupes dominants. Des enseignements qui ont été instrumentalisés pour légitimer, codifier et pratiquer l’esclavage. La population esclave et les castes d’esclavage chez nous sont parmi le peuple depuis plusieurs générations, depuis plusieurs siècles.
« La réaction des groupes dominants qui bénéficient de l’esclavage et de l’Etat qu’ils dominent était une réaction très dangereuse »
On a voulu casser la chaîne. On a voulu rompre la chaîne. C’est pourquoi nous nous sommes levés. On a décidé de faire la subversion contre une idéologie sociale, d’un code de vie, d’un code d’honneur basé sur l’esclavage. C’est pourquoi l’ambition était grande. Les défis étaient grands. Et la réaction des groupes dominants qui bénéficient de l’esclavage et de l’Etat qu’ils dominent était une réaction très dangereuse, une réaction de destruction. Ils voulaient nous détruire. Ils voulaient nous éradiquer parce que nous sommes en train de changer leur mode de vie c’est-à-dire que nous avons décidé de faire entrer les esclaves dans l’humanité. Toute cette idéologie que nous combattons signifie que l’humanité n’est pas faîte pour l’esclavage.
« Nous avons choisi la non violence mais avec une fermeté sur les principes »
Et pour bien maîtriser l’esclave et l’exploiter il faut le sortir de l’humanité. Et en le sortant de l’humanité on utilise des moyens inhumains, des moyens violents, physiquement, moralement et intellectuellement. Le choc entre nous et eux était un choc violent. Et pour atténuer la violence de ce choc, nous avons choisi la non violence mais avec une fermeté sur les principes. Une détermination, une attaque par les mots, par des idées qui les oblige à réagir. Ils ont réagi en décidant de me condamner à mort. Une fois Yacoub et moi nous étions dans le lot des condamnés. Mais cette confrontation on la gère à l’image de la gestion que Gandhi et Martin Luther King ont faîte pour leurs bourreaux. C’est pourquoi on a aidé les esclaves à se relever, à se sentir des humains, à développer l’espoir, à prendre le chemin de la liberté. Nous les avons aidés à faire des pas vers la liberté. Mais pas seulement les esclaves, nous avons aussi aidé les bourreaux par notre démarche morale, par nos principes de fraternité. Mais par notre détermination dans les principes, sur la justesse de cette cause cela a fait que beaucoup de membres du groupe dominant ont révisé leurs calculs. Ils ont revu leur copie vis-à-vis de nous. Ils ont revisité la conception qu’ils se faisaient de nous. Nous nous sommes imposés donc par notre force de caractère moral. Nous nous sommes imposés par l’espoir que nous avons fait naître chez les plus faibles. Nous nous sommes imposés parce qu’on a mobilisé les plus faibles et les plus nombreux. Nous les avons convaincu. En dehors du principe moral on a impacté sur la société ; un impact politique parce que on a utilisé la démocratie où ce qui nous ai donné comme manque de liberté dans une démocratie contrôlée du temps du dictateur Aziz, la démocratie qu’il a bien contrôlé, des portions de liberté lui ont échappé et nous les avons saisi en tant qu’opportunistes humanistes.
« Nous avons utilisé peu de moyens pour dominer moralement la campagne politique »
Nous avons profité de ces petites portions de liberté démocratique pour entrer en compétition politique. Entre nous et Marco était présent pendant la campagne présidentielle. Ils ont vu comment nous avons utilisé peu de moyens pour dominer moralement la campagne politique pour gagner les cœurs des personnes épris de justice et nous sommes sortis vainqueurs.
Mais le pouvoir arbitraire a décidé autrement. Nous avons laissé passer pour éviter les morts, pour éviter l’effusion de sang car notre objectif c’est l’humanité. Ce sont les hommes. Ce sont les femmes. Ce sont les enfants. Et on ne peut pas les servir en les tuant. Ou en les laissant mourir ou en participant dans un conflit qui peut tuer ne serait-ce qu’une seule personne. C’est notre principe de base.
Mais, l’impact que nous avons eu sur la société est un impact moral, un impact social, un impact idéologique, mais un impact politique parce que en matière de démocratie, c’est le vote qui constitue un indicateur de performance et nous sommes la première force électorale en Mauritanie.
En nous donnant la liberté le successeur de Aziz a fait une première action positive
Notre projet suit son cours mais l’environnement politique a changé.
Le président qui nous a tend réprimé est maintenant derrière les barreaux.
Son successeur nous tend la main. Il nous a tendu une main nous lui avons tendu deux mains parce que nous voulons la paix. Et nous sommes sûrs que dans la paix nous allons gagner. La pratique de l’esclavage perdure. Les victimes de l’esclavage continuent à souffrir comme avant. Mais le président actuel a décidé de cesser d’arrêter et de faire souffrir les militants anti-esclavagistes. Et il a dit qu’il est prêt à discuter avec nous. Il est prêt à nous laisser libres de nos mouvements et de mener nos activités. Il est prêt à nous laisser avoir des partis et des organisations reconnus. Il dit qu’il est prêt à nous écouter. Il dit qu’il ne s’interpose pas car nous on gagne des élections.
C’est ça le changement qu’il a apporté. Mais il n’a pas encore apporté un changement sur l’esclavage, sur les pratiques esclavagistes, sur l’égalité sociale. Mais étant donné qu’il a donné cette liberté qui était confisquée, nous considérons que c’est quelque chose de positif et que c’est une première action positive. De ce fait la liberté et la paix qu’il a données nous allons les utiliser pour que nous arrivions qu pouvoir et régler à la racine la question de l’esclavage, la question de la discrimination raciale, la question de la démocratie, la question de la justice sociale. C’est ça notre ambition. »
Notons qu’aux côtés de Birame il y avait son épouse et compagne de lutte Leila Ahmed Hmaida. Le public avait auparavant visionné le documentaire sur le combat d’IRA et Birame Dah Abeid en Mauritanie, un film documentaire réalisé par l’universitaire et cinéaste Italien natif de la ville de Terni, Marco Piantoni.
Transcription et Synthèse Bakari Guèye