La langue de Molière n’a pas le vent en poupe en Mauritanie. Il y a lieu de souligner d’emblée que, dans ce pays qui a donné du fil à retordre aux colons, la langue française est plus que partout ailleurs l’objet de toutes les récriminations, aussi bien de la part de l’élite que d’une population savamment montée contre elle.
Ce rejet trouve ses racines dans la lointaine histoire coloniale, avec l’imposition de cette langue dans un pays profondément musulman et peuplé d’habitants d’origines diverses.
Du côté de la composante négro-africaine de la population, on s’accommode de la présence de cette langue. En revanche, du côté de la composante arabo-berbère, on continue à résister au français, perçue comme une manifestation intolérable de l’impérialisme linguistique.
Pour cette frange de la population qui soit dit en passant compte beaucoup de francophones, seule la langue arabe devrait avoir droit de cité, car c’est la langue par excellence du Coran et de l’islam.
Ce positionnement des franges de la population face au français ne lui rend guère service et constitue l’une des manifestations les plus éloquentes de la fracture communautaire dans ce pays.
Cette fracture est l’objet d’une récupération politicienne permanente qui a poussé les gouvernements successifs depuis l’indépendance, en 1960, à mener une guerre sécrète contre le français, une guerre qui finira par se révéler au grand jour.
Ainsi, depuis les premières années de l’indépendance, les dirigeants du pays se sont employés à modifier le système éducatif à la française en y introduisant une dose d’arabe.
Cette tendance a conduit à une arabisation progressive qui s’est traduite par une école à deux systèmes, avec le français pour les Mauritaniens d’origine africaine et l’arabe pour la composante arabo-berbère.
Les francophones, une espèce en voie de disparition
Cette situation a accentué beaucoup plus la fracture communautaire en créant deux types de citoyens dans un même pays.
Et malgré la tentative de fédérer les deux systèmes, à la faveur de la dernière réforme du système éducatif lancée en 1999, le fossé est toujours très grand.
Cette réforme avait le mérite de revaloriser l’enseignement du français en ce sens, qu’elle avait décrété l’enseignement obligatoire des matières scientifiques en français exclusivement.
Malheureusement, cette initiative ne fit pas mouche, car les résistances au sein du système , noyauté par les arabisants, étaient les plus fortes et la volonté politique laissait également à désirer.
Et, au moment où on décréta cette réforme, on continua à former les arabisants en masse. Par contre, les francophones, une espèce en voie de disparition, étaient recrutés au compte-gouttes. C’est dire que la volonté de sabotage était manifeste.
Cette réforme improvisée et inadaptée est toujours en vigueur, mais aujourd’hui, l’enseignement du français dans les écoles mauritaniennes est si exécrable qu’on aura du mal à assurer la relève. Et dans les prochaines années, il va falloir se résoudre à importer des francophones.
Face à ce recul inquiétant du français en Mauritanie, ni les instances de la Francophonie et encore moins la France ne remédient à cette situation.
Au contraire, la France semble opter pour la fermeture à outrance de ses frontières au nez et à la barbe des étudiants mauritaniens, qui peinent à trouver un visa pour poursuivre leurs études dans les universités françaises.
Avec un contexte de plus en plus défavorable on assiste à la descente aux enfers du français dont les lampions s’éteignent lentement mais sûrement sous nos cieux.
Bakari Guèye