Aly SY, Consultant Oil & Gas en Mauritanie : « Pour que ces ressources profitent aux populations, il faut mettre en place une politique … » (Entretien)

Pouvez-vous nous présenter votre structure, parcours ? Vos Services dans le secteur ?

Aly SY, fils du premier directeur général de BP en Mauritanie. Je parle couramment cinq langues : anglais, français, arabe, Woolof et Pulaar. Je possède la nationalité mauritanienne de naissance et française.
Après des études en France, j’ai obtenu une Maîtrise en Gestion des Affaires et de l’Administration en 1998. Je suis parti vivre aux Etats-Unis pour améliorer mon niveau d’anglais à l’Université d’Howard à Washington DC, au département de l’ESL. En 2000, après deux  merveilleuses années à Washington DC, j’ai décidé de retourner à la maison, pensant que ce sera plus avantageux de partager les expériences cumulées en France et aux Etats-Unis et ainsi apporter ma pierre dans l’édifice au développement de mon pays natal.
Après 6 ans de travail pour diverses sociétés pétrolières avec des postes au Nigeria, Ghana, Côte  d’ivoire, j’ai lancé en 2009 ma propre entreprise de Consulting, conseil et représentation de multinationales comme Trafigura, Vitol , Litasco, ou dans les mines, AMCO drilling (entreprise de forage Royaume-Uni), William Clark & ​​Co (Cabinet de Finance des USA), Wartsila ; j’ai eu à faire des missions pour KMPG Londres et actuellement je représente la société de drilling numéro un dans le monde, TGS pour qui j’ai négocié et obtenu un contrat de sismique multiclient 2D et multifaisceaux  avec la Mauritanie pour les 5 prochaines années.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous installer au Mauritanie ?

Je ne peux pas dire que quelque chose m’a poussé à m’installer en Mauritanie, car j’y suis chez moi. J’ai fait toutes mes études de primaire et secondaire en Mauritanie dans le système public et après obtention du Bac, mon pays m’a offert une bourse d’étude supérieure en France pendant 6 ans. La moindre des choses est de rendre au pays ce qu’il m’a donné.

Que pouvez-vous nous dire sur le projet gazier Grand Tortue Ahmeyim entre la Mauritanie et le Sénégal ?

Le projet Grand Tortue Ahmeyim ou GTA est un gisement transfrontalier entre la Mauritanie et le Sénégal avec une réserve estimée de 15 à 25 TCF (Trillion Cubic Feet) qui est une unité de mesure de volume de gaz naturel. Pour information 1 TCF équivaut à 28 Milliards de mètres cubes. Je vais éviter d’entrer dans des explications techniques qui pourraient disperser vos lecteurs pas forcement dans l’industrie. Il faut retenir, en ce qui concerne les mauritaniens et les sénégalais, qu’il est prévu de dimensionner le projet en 3 phases : une première phase de 2.5 millions de tonnes de Gaz Naturel Liquéfiés (GNL) qui vont rapporter 200 millions de dollars us par an en impôts et rentes et les 2 autres phases qui vont suivre vers 2026 vont rapporter 1 milliard de dollar us par an.

Quelles sont les parts des deux pays (Sénégal et Mauritanie) dans ces projets ?

La part est 50/50. C’est la pratique dans l’industrie avec tous les pays qui partagent un champ pétrolier ; on peut citer le Qatar et l’Iran, l’Algérie et la Libye, etc. En fait, il faut partir de quelque chose et tant qu’on n’a pas développé le champ, tant qu’il n’ya pas une historique de production sur une période, on ne peut déterminer la part de chaque pays. Il faut noter que c’est bien indiqué sur le contrat et que le pays qui a la plus grande part sera indemnisé par l’autre. En général les partages tournent autour de 45/55 voire 40/60, c’est un cas d’école. J’en profite pour dire aux lecteurs sénégalais que le partage ne se fait pas en fonction de la population du pays!

Est-ce que dans les codes pétroliers et gaziers en Mauritanie, portant sur ces blocs en prospection ou en exploitation, sont fiscalisés ou pas ?

Heureusement qu’il est fiscalisé ! Il y’a un contrat de partage de production depuis 2010, Contrat d’Exploration et de production (CEP) qui lie un état avec la société ou un consortium de sociétés pétrolières. Dans ce contrat, il y’a un impôt sur le bénéfice (BIC) qui ne peut être en dessous de 25%. En plus du BIC, il y’a l’ITS pour les employés locaux fixés par la loi mauritanienne et un ITS forfaitaire avec un barème, sur les salaires des étrangers. En ce qui concerne les entreprises de services, il y’a la fiscalité simplifiée où l’opérateur est obligé de retenir 6% sur chaque facture payée qui couvre le BIC et l’ITS.

Comment le gouvernement mauritanien doit-il utiliser les recettes issues de ces ressources gazières ?

Cette question est plutôt politique. Le Premier Ministre et son Ministre du Pétrole sont plus compétents que moi pour y répondre. Comme tous mauritaniens, nous avons bon espoir et souhaitons que le gouvernement soit à la hauteur de l’utilisation de cette nouvelle manne financière pour améliorer les conditions de vie de leurs concitoyens. Le budget de la Mauritanie est d’environ 1.5 milliard de dollars, cette affaire peut être une bouffée d’oxygène en tirant la croissance vers le haut et ainsi transformer la vie des populations dans la mesure où elle crée davantage de biens et de services.

Comment associer le secteur privé ?

Le secteur privé ne peut être associé qu’à travers le contenu local. Les entreprises locales doivent se mettre à niveau, être plus dynamiques et penser aussi à des joint venture pour les expertises non disponibles localement.

Le port de Nouakchott est-il assez équipé pour un tel volume d’activités ?

Le port de Nouakchott est équipé mais est ce que c’est suffisant ? Voici la question qu’on devrait se poser par anticipation des futurs besoins. BP a fait des investissements importants notamment un quai qui est exclusif à ses activités, une plateforme… etc. A Nouadhibou, se fait un transbordement de 800 000 tonnes de roches sur 5 mois qui viennent de Norvège à destination de N’diago (ville frontalière avec le Sénégal). Les sociétés françaises Eiffage et SOGECO font un excellent travail.

Que pouvez-vous nous dire sur la découverte de BirAllah du bloc C8 au large de la Mauritanie ?

BirAllah est un gisement important, la plus grande découverte de gaz en 2019. Ses réserves sont estimées à 50 TCF (je rappelle 1 TCF équivaut à 28 milliards de m3 de gaz) ; Pour vous donner une idée de son importance, les réserves algériennes sont de 180 TCF.

Pour le moment BP n’a pas encore divulgué son programme de développement, ce qui est compréhensible. Le problème du gaz c’est qu’il faut trouver un acheteur sur 25-30 ans, par la suite, commencer les études de développement. Aussi, les prix du GNL chutent, ce n’est peut-être pas le moment de le développer. Cette découverte peut faire de la Mauritanie un pays important dans le domaine gazier et comme l’a dit Jonathan Evans à jeune Afrique (vice président de BP) : « Cette région est amenée à devenir une nouvelle base pour BP ».

Quelle définition donneriez-vous au Contenu Local et quel est son importance et ses objectifs pour la Mauritanie ?

Le contenu local fait référence aux mesures qui exigent que les sociétés pétrolières ou les investisseurs étrangers en général utilisent une certaine proportion de ressources locales, d’emploi local, des exigences d’acquisition de nouvelles compétences et des exigences de transfert de technologie. C’est très important de le développer car cela profite aux entrepreneurs locaux. Maintenant il ne s’agit pas de crier partout contenu local si les entreprises ne sont pas au niveau ! En Mauritanie, le Ministre du Pétrole, lors d’une rencontre à paris avec le Patronat français le 10 octobre 2019, avait dit que la décision du gouvernement mauritanien était de ne pas trop insister sur le contenu local et laisserait le champ libre aux investisseurs. Avec l’environnement du tissu entrepreneurial, je comprends et adhère à cette décision.

Quelles sont les actions du gouvernement dans le domaine de la formation aux métiers des hydrocarbures ?

Le gouvernement travaille d’arrache pied pour former et mettre à niveau les mauritaniens dans ce secteur. A ce titre, BP et Kosmos, les partenaires de l’état dans GTA, ont investi il y’a presque un an, cinq millions de dollars us dans la création d’un centre de formation dédié aux métiers du gaz et pétrole. La société TGS que je représente en Mauritanie, prendra aussi en charge un géophysicien et un géologue en stage. Le Ministère du Pétrole a aussi un budget important de formation pour ses cadres et ils viennent de recruter des ingénieurs pour relever le défi de producteur de gaz qui se pose à eux.

Ces activités impactent-ils le secteur de la pêche en Mauritanie ?

Je ne suis pas un expert en Pêche pour répondre de manière précise à l’impact des activités pétrolières sur la pêche, essentiellement artisanale dans cette zone. Par contre, je peux dire que le gouvernement mauritanien prend très au sérieux les questions liées à l’environnement ; A ce titre une Ministre d’une compétence connue et reconnue dans ce milieu dirige ce département et toutes les études d’impacts environnementales sont prises au sérieux à la Direction du Contrôle de l’Environnement.

Quelle est votre vision dans le secteur des hydrocarbures en Mauritanie ?

En général c’est à un politicien à qui on demande sa vision sur un sujet, par contre en tant qu’expert on peut avoir une opinion ou un avis. Tout d’abord, il faut signaler que les ressources sont la propriété légitime d’un pays et un pays comme le notre qui, faut le dire, n’a pas le savoir faire, le financement et aussi ne prend aucun risque « découverte ». Ce n’est donc pas le moment de crier ou de penser que nos ressources sont pillées mais plutôt travailler sans relâche pour modifier cet équilibre par le transfert de compétences et donc de technologies. On doit se concentrer sur l’utilisation des ressources pour former les nôtres qui pourront dans le futur prendre le relai.

Que faire pour que ces ressources profitent aux populations ?

Pour que ces ressources profitent aux populations, il faut mettre en place une politique de formation très ambitieuse, de transformation des matières premières notamment dans l’agriculture, l’élevage, la pêche. La meilleure des richesses n’est pas la richesse naturelle mais plutôt humaine. Souvent, le gouvernement arrive à trouver des financements en milliard USD mais n’arrive à absorber que 20 % des montants par manque de mise en place de projets !

Quel avenir pour le pétrole et le gaz en Afrique ?

Au début des années 60, seuls 4 pays ont commencé une modeste exploitation pétrolière, on en est à 20 aujourd’hui. Il faut reconnaitre que le continent est essentiellement constitué de bassins sédimentaires. En ma qualité de représentant d’une société sismique qui donc possède toutes les données, études géologiques, géophysiques et géochimiques, je suis tenu au secret professionnel et ne pas entrer dans le détail de l’utilisation de ses données avec les états et les sociétés pétrolières.

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