L’incident intervenu dernièrement dans le département de M’Bagne et qui s’est soldé par la mort par balle d’un citoyen de la zone a suscité une vive émotion dans la région de la vallée où les rescapés de la folle tentative de génocide de 1989 perpétrée par le régime pro-baasiste de Ould Taya a réveillé des souvenirs douloureux.
Cette gaffe de l’armée dont l’enquête en cours permettra d’y voir plus clair est d’autant plus mal vécue que les victimes de ces tristes événements attendent toujours que justice soit faîte.
Contrairement à la thèse en vogue dans les milieux officiels, la question du passif humanitaire n’est pas entièrement réglée comme l’a souligné d’ailleurs l’accord politique de 2016 qui préconise son parachèvement.
Les choses allaient bon train mais il y a eu cette fameuse loi d’amnistie de 1993, votée par l’assemblée nationale à la veille de la réunion de Vienne sur les Droits de l’Homme, une loi scélérate qui a plombé tout le processus.
Mais le règlement du dossier du « Passif humanitaire » avait commencé en 2007, avec l’initiative du président Sidi Ould Cheikh Abdalahi qui avait clairement reconnu la responsabilité de l’Etat dans tout ce qui s’est passé et avait enclenché le processus de retour des réfugiés alors installés au Sénégal.
A l’époque des journées de concertations (03 jours) avaient été organisées pour réfléchir sur la question dans son ensemble.
Par la suite, juste à la veille du putsch, une commission inclusive de 15 personnes avait été constituée. Elle regroupait des représentants de l’Etat, de la société civile et des victimes.
En vertu de cette loi, aucune victime ne peut plus porter plainte.
Il y a eu par la suite à l’avènement du président Aziz suite à un putsch, la création d’une autre commission qui regroupait des Oulémas et des représentants de la société civile. Cette commission a concocté un document dont ignore encore le contenu, un document qui a été présenté en catimini aux victimes pour le signer. Dans ce document il est également mentionné que les victimes ne peuvent plus porter plainte.
A en croire les organisations des Droits de l’Homme qui suivent le dossier de près comme le FONADH, des pas ont été certes franchis pour régler cette question mais des zones d’ombres subsistent et il conviendrait de s’inspirer des autres pays qui ont eu à faire face à des problèmes similaires. Ainsi, il n’y aurait pas mieux que d’appliquer la thérapie de la justice transitionnelle avec ses principes fondamentaux, à savoir : les devoirs de vérité, de mémoire, de pardon, de justice et de réparation.
Le leitmotiv des autorités c’est : « Les ayants droits ont signé ».
Seulement, le problème est beaucoup plus complexe que cela. Dans le passif humanitaire, il y a deux volets : le volet civil et le volet militaire.
Il y a par exemple le plan de carrière des anciens fonctionnaires qui n’est pas pris en compte. Bien vrai que pour le volet civil, tous les anciens fonctionnaires et agents de l’Etat ont été indemnisés mais le plan de carrière a été mis de côté.
Il y a eu la mise en place d’une commission ministérielle (intérieur, Fonction Publique et Finances) pour la reconstruction de ce plan de carrière mais cette commission n’a pas fait son travail.
Le blocage au niveau de l’Etat est manifeste. En 2011, le Commissaire aux Droits de l’homme a demandé à Banjul à la Commission Africaine des Droits de l’Homme de clore les dossiers du passif humanitaire et de l’esclavage. Mais au niveau des ONG des Droits de l’Homme, un lobying dynamique permet de maintenir la pression sur l’Etat mauritanien.
Pour ces ONG, le processus doit aller jusqu’au bout et la mise sur pied d’une commission d’évaluation et de suivi s’impose.
En 2011, l’Etat s’était engagé à cartographier les lieux où se trouvent les victimes des exactions extrajudiciaires (Sory Malé, Wothi, Azlat…). Une loi dans ce sens avait été promulguée par le ministère des affaires islamiques, mais depuis, on en entend plus parler.
Aujourd’hui, il est impératif de reconnaître les torts et d’ériger des symboles à la mémoire des victimes.
Il convient également de mettre sur la table le problème des 15000 réfugiés mauritaniens au Mali. Un accord tripartite similaire à celui signé par la Mauritanie avec le HCR et le Sénégal s’impose.
Par ailleurs le président Ghazwani devrait s’employer au plus vite à régler la question noire en Mauritanie, une question évacuée par les gouvernements successifs et qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Le président de la République a le devoir d’accorder une oreille attentive aux cris d’injustice de cette frange de la population dont l’exclusion quasi systématique des rouages de l’administration et de l’armée cristallise toutes les frustrations.
Bakari Guèye