«La Mauritanie doit repenser son développement en valorisant ses atouts.»
La pandémie Covid19, c’est aussi une crise économique mondiale. L’Afrique, très faiblement touchée jusqu’ici, voit, cependant, ses structures sanitaires, peu performantes, mises à rude épreuve. Les mesures de confinement, de couvre-feu et autres fermetures de commerces, interdictions de voyages vont durablement affecter les économies des pays du continent très peu résilientes. A la demande d’annulation pure et simple de la dette au profit des pays pauvres, réitérée par Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, président en exercice du G5 Sahel, les partenaires ont préféré un moratoire. Comment les pays du continent en General et la Mauritanie en particulier pourraient-ils surmonter la crise née de cette pandémie. Pour traiter de cette question et d’autre, Horizons poursuit sa série d’interviews. Nous avons interrogé Ibrahima Thiaw, Secrétaire exécutif de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. Monsieur Thiaw, mauritanien, est aussi conseiller spécial du secrétaire général des Nations Unies au Sahel. « Il possède une quarantaine d’années d’expérience dans le domaine du développement durable, de la gouvernance environnementale et de la gestion des ressources naturelle. »
Horizons : Quels impacts pourrait avoir la pandémie COVID19 sur le continent africain en général et les pays du sahel en particulier qui sont « écologiquement vulnérables. »
Ibrahima Thiaw : Les pays vulnérable souffrent sur le plan médical mais aussi et surtout sur le plan social et écologique Tout est lié. Les pays qui ont de faibles capacités médicales sont également sous-développés. La région du Sahel a la particularité d’une écologie vulnérable. Par conséquent, de deux choses l’une : ou bien des populations ont un problème social grave en ville, elles repartent dans les régions rurales pour cultiver. Ou alors, celles qui sont dans ces zones rurales n’arrivent pas à produire, elles se dirigent vers les villes. Donc, le mouvement de balancier entre zone rurales et villes va s’accentuer. Si ce mouvement n’est pas bien organisé, il pourrait avoir des conséquences graves sur le plan écologique et social. Ce que je viens d’évoquer concerne le court terme. Le gros problème que pose le Covid-19, c’est la déstructuration des économies. Il s’agit d’un impact à long terme. Comment les pays sahéliens vont pouvoir s’adapter, s’ajuster ou, peut-être même, repenser leur développement ? Il est possible d’être attentiste et dire que tout va s’arranger comme c’est fait souvent les cas ou anticiper en tenant compte du fait qu’il y a une transformation majeure de l’économie mondiale qui va s’opérer. Et, voir comment, en tant que petits pays d’un point de vue économique, tirer les marrons du feu. Cette réflexion doit être menée dans les pays du Sahel en général et en Mauritanie en particulier. La Mauritanie qui doit repenser son développement en valorisant davantage ses atouts. La situation économique actuelle est telle que l’on doit soit trouver le chemin du développement, soit stagner pour une longue durée. Tout dépend des leaderships, de ce que les intellectuels, les chercheurs mauritaniens veulent faire, de ce que les économistes vont proposer. Au-delà de la dimension écologique, c’est une question économique, sociale, politique. Il s’agit de se demander quelle trajectoire les pays sahéliens veulent prendre. Il s’agit de savoir comment ces pays peuvent utiliser leurs énormes opportunités pour repartir sur de nouvelles bases et se développer en tenant compte de la mue économique qui s’opère a l’échelle du monde.
Horizons Vous avez dit que la Mauritanie doit miser sur ses atouts. Quels sont ces atouts ?
Ibrahima Thiaw : Pour les atouts, je commence par l’évidence. C’est le Soleil qui est une aubaine en matière d’énergie renouvelable. Avec de bons investissements, la Mauritanie peut, non seulement satisfaire ses besoins, mais également exporter le surplus. La Mauritanie est un pays qui a la stabilité politique, sécuritaire.
Le deuxième atout, c’est le vent, notamment dans la zone côtière. Ce vent, c’est aussi de l’énergie. Le soleil e et le vent combinés, c’est l’énergie solaire la journée et éolienne la nuit. C’est ce qui se passe actuellement à Nouakchott à une échelle plus ou moins réduite. Le soleil et l’éolienne combinés y ont soulagé les centrales thermiques. Ce concept qui a fait ses preuves à Nouakchott peut être élargi à une plus grande échelle.
Les atouts de la Mauritanie, c’est aussi les ressources naturelles, le poisson, d’importantes possibilités de développements agricoles. On peut constater cependant qu’il y a un gâchis sur le plan agricole aujourd’hui, notamment pastoral avec un potentiel non valorisé. Si je dis gâchis, c’est le contraire de atout. Et, beaucoup de potentialités ne sont pas actuellement pas exploitées. La Mauritanie peut profiter de la forte demande en viande halal, bio dans des pays voisins et même lointains en valorisant son potentiel en la matière. C’est un créneau pour la Mauritanie. Mais elle n’a pas encore su mettre en place un circuit économique qui peut valoriser ces produits et sous-produits.
Les atouts de la Mauritanie, c’est aussi sa jeunesse. Réussira-ton à former correctement les jeunes mauritaniens ? L’éducation nationale est un grand défi. Une population jeune, vigoureuse est un énorme avantage. Les mauritaniens sont commerçants, aventuriers…avec une réputation d’honnêteté au niveau internationale.
Horizons : Les pays du Sahel, confrontés aux effets du changement climatique, au terrorisme et autres tensions communautaires peuvent-ils durablement faire face à la pandémie COVID 19 et ses effets sur leurs économies.
Ibrahima Thiaw : Il y a beaucoup de défis dont la plupart ont des sources communes. Les causes de tous ces phénomènes se trouvent dans la dégradation des terres, le manque d’eau et la déstructuration de l’économie rurale sahélienne. Quelle technologie peut-être mis en place pour changer ce paradigme ? C’est l’énergie. Aujourd’hui si vous égorgez un animal dans le Sahel, vous êtes obligés de le consommer le jour même sous peine de pourrissement. C’est valable pour le lait, les légumes…Il y a donc beaucoup de pertes agricoles dues au manque d’énergie. C’est pourquoi les sahéliens parlent d’ailleurs de dépenses journalières. Chaque jour, on va au marché si on a de l’argent. On y va chaque jour car on n’a pas d’énergie. Au Niger la technique de conservation de la viande, c’est le Kilichi qui équivaut au Tischtar en Mauritanie à cause de l’absence de moyens de conservation. Donc la technologie qui peut transformer positivement la situation, c’est l’énergie appliquée à l’agriculture, a l’accès à l’eau, à l’éducation, à la médecine. Nous devons repenser donc notre développement. Les defis sont nombreux. Mais nous sommes suffisamment intelligents, en tant que sahélien, mauritanien, pour relever ces défis et construire notre développement sur la base de nos atouts. Si l’on continue à demander de l’aide, nous n’y arriverons pas. Nous avons beaucoup d’atouts. Même si beaucoup de nos jeunes ne sont pas biens formés, ils sont ingénieux, créatifs. Il faut donc libérer leurs énergies.
Horizons : Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, président en exercice du G5 sahel, a demandé avec insistance l’annulation de la dette des pays africains pour leur permettre de faire face aux conséquences du COVID. Qu’apportera cette annulation ?
Ibrahima Thiaw : N’étant pas spécialiste de cette question, je réponds avec humilité. Pour les pays les plus pauvres, notamment ceux du G5 Sahel, je ne vois meilleure solution que l’annulation de la dette. Pour les pays qui ont plus de revenus, il faut faire attention pour ne pas donner l’impression que les africains sont insolvables. Les pays qui ont les moyens de rembourser leurs dettes peuvent demander un différé de paiement. Par contre, certains pays sont si faibles que, pour repenser leur développement, le réorienter, ils doivent être libérés de ce fardeau de la dette.
Horizons : Quelles leçons l’Afrique en général et les pays africains en particulier, peuvent tirer de cette pandémie?
Ibrahima Thiaw : Depuis trois mois, nous réfléchissons pour repenser notre développent. Il y a beaucoup de leçons à tirer. La première est comment éviter une nouvelle pandémie. Le virus Covid 19 serait venu des chauves-souris pour transiter par le pangolin qui (ces pangolins) sont essentiellement africains. La leçon à en tirer est d’arrêter de pénétrer dans des espaces pouvant nous apporter des virus. Nous sommes allés très loin dans la destruction de la nature. En tant qu’humains, on s’est cru tellement fort pour faire n’importe quoi. Un virus vient de nous montrer que nous sommes très faibles. Nous devons donc avoir de l’humilité et savoir jusqu’à quel point nous pouvons aller exploiter les minéraux rares en Afrique, jusqu’à quel point utiliser des enfants pour le travail, jusqu’à quel point aller dans les forêts, détruire le milieu naturel.
La deuxième leçon. En trois mois nous nous sommes cachés mais nous avons fonctionné. Il y a donc un nouveau monde qui s’ouvre à la technologie. Un monde dans lequel il est possible de travailler à distance.
Une autre leçon : les africains en général, du fait de leur forte dépendance des importations, souffrent des fermetures de frontières. Nous sommes trop dépendants alors que nous avons tout sur place. Comment valoriser nos ressources pour les transformer et les consommer ? Nous pouvons tirer des leçons pour transformer nos économies, créer des emplois, créer de la richesse, la prospérité. 60 ans après les indépendances, nous ne pouvons pas continuer à exporter les matières brutes africaines et racheter, à prix d’or, le produit fini issu de la transformation de ces matières brutes.
La dernière leçon. Il a toujours été considéré qu’investir dans la santé n’est pas rentable. Nous avons la preuve du contraire avec cette pandémie. L’Afrique ne peut pas continuer à exporter ses malades. Le continent doit investir dans la recherche, la médecine. Pendant ces trois derniers mois, Chefs d’Etat, ministres…n’ont pas voyagé. Tout le monde a été traité sur place. Si on l’a fait pendant trois mois, nous devons en tirer des leçons et changer de paradigmes.
Horizons : Concernant la pandémie, vous écriviez, dans une récente tribune : «Passé le traumatisme, pourra-t-on revenir au business as usual ? » Alors y aura-t-il une prise de conscience post-covid19 ? Ou, une fois le remède trouvé, le monde retournera à sa routine ?
Ibrahima Thiaw : Peut-on reconstruire l’économie mondiale en récession ? Quels sont les modèles de développement les plus résilients que l’on peut mettre en place pour résister au choc comme celui du Covid 19 ? Comment assurer le développent économique tout en préservant le milieu naturel duquel nous dépendons ? La réflexion sur ces questions est en cours au niveau de notre convention et dans d’autres organisations internationales.
Le danger avec le Covid-19 est de penser d’abord à la relance des économies avant le développement durable et l’environnement. Une telle attitude serait une grosse erreur.
Propos recueillis par Khalilou Diagana
Le Quotidien National Horizons