Sans chaussures, les habits sales, Hamidou, 11 ans, déambule entre les boutiques et les restaurants à la recherche de nourriture. Originaire du département de Tintane, Hamidou fait partie de ces enfants qu’on appelle « talibé ». Les talibés sont des enfants âgés de 5 à 15 ans confiés par leurs parents à un maitre pour étudier le coran. Mais la plupart des talibés sont obligés de faire la mendicité pour subvenir à de multiples besoins. Parmi ceux-ci, la nourriture et de l’argent pour leurs maitres coraniques.
Á Kiffa, ville située à 600 km à l’est de Nouakchott, on rencontre les talibés par dizaines dans les rues, au marché, dans les restaurants, aux carrefours, aux alentours des mosquées ….
«Á 8 heures, après nos leçons du matin, nous partons mendier au marché, prés des boutiques et pharmacie, nous demandons aussi à tous les passants. Parfois, nous portons des bagages, faisons la vaisselle ou le linge pour les gens.»
Apprendre et mendier, ou apprendre à mendier ?
Les talibés-mendiants passent la plus grande partie de leur 14 heures d’activité quotidiennes en dehors de l’école coranique. La principale raison à cela, ils doivent rapporter chaque jour une somme d’argent fixée par le marabout, et, dans le même temps, quémander leur repas auprès des familles ou des restaurants. Mais, le plus souvent, la mendicité seule ne couvre pas tous leurs besoins. Ils s’adonnent donc à d’autres activités : petits travaux ici et là, portage de petits colis pour les ménagères, menus travaux domestiques dans des familles ou chez des célibataires, en contrepartie de quelques pièces de monnaie ou de nourriture.
Saidou, 13ans, vient du Mali. Il raconte ses activités quotidiennes.
« Chaque jour, je me réveille à l’aube je lis ma tablette jusqu’à 9h du matin, je me rends en ville pour mendier, je retourne vers 12 ou 13 h le temps de me reposer avant de repartir pour chercher mon déjeuner auprès des familles charitables. A 17h juste après la prière de ASR , je repars encore jusqu’à la tombée de la nuit. Enfin de journée il faut que je parte quémander pour pouvoir diner avant de dormir ».
Le temps consacré à l’apprentissage par les talibés n’excède pas 4h dans une journée, pendant que leurs camarades qui ne mendient pas consacrent prés de 7 h à leurs études.
D’ailleurs, plusieurs enquêtes sur la situation des talibés en Mauritanie montrent que leur niveau coranique en général est très bas par rapport à leur âge, et le temps qu’ils passent dans la rue ne laisse pas beaucoup de place à l’apprentissage. (www.kassataya.com).
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Abderrahmane Kane, aujourd’hui âgé de 47 ans, fut un talibé dans son adolescence. Il dirige actuellement deux centres d’accueils pour talibé mendiants. « Certains maitres accordent plus d’importance aux produits de la mendicité qu’à l’apprentissage réel des enfants. C’est une expérience que j’ai vécu dans mon adolescence en tant que talibé mendiant, et je sais que cela existe depuis très longtemps. »
« Si tu les vois trier les restes de repas qu’ils ont recueillis, tu auras mal au cœur. »
« Après avoir lu ma tablette je pars au marché pour mendier et chercher de la nourriture pour moi et mon grand frère. Dans l’après midi, à 17 heures, je pars mendier jusqu’à 19h. ». Raconte Cheikh, un enfant mendiant originaire de Sélibaby, au sud est du pays, Il est venu chercher des restes des repas laissés par les clients d’un restaurant prés du centre de santé de Kiffa. Il étudie dans une école qui compte selon le maître qui la dirige, prés de 400 élèves. Avec six autres camarades, Il passe la nuit dans un hangar de fortune de quatre mètres carrés.
Pire, les repas des talibé sont souvent des mélanges indescriptibles de toutes sortes de nourritures mêlées à du sable.
« Ils réunissent les restes de toutes sortes de nourriture : riz, coucous, poisson, biscuits, et de la viande mélangé avec de la saleté. Si tu les voix séparer les éléments de ce mélange tu auras très mal au cœur ».s’attriste Raghya mint Sideyni présidente du réseau « Petite Enfance-Assaba ». « Ils dorment dans la rue, dans des restaurants, et même sous des voitures ». Ajoute-t-elle.
« Sinon il me tue »
A la fin de la journée chaque talibé mendiants doit remettre la somme fixée par le maitre. Si le montant n’est pas entièrement versé, la punition est immédiate.
« Chaque soir je dois remettre 10 MRU à mon grand frère, et chaque fin de semaine, je lui donne 50 MRU. Á son tour, il donne une somme à notre maitre, chaque vendredi », dit le petit Cheikh. L’enfant soutient que ses parents envoient une somme de 2000 MRU à son grand frère, mais ne sait pas comment cet argent est dépensé.
« Je dois verser chaque jour 150 MRU à mon maitre sinon il me tue », confie un autre enfant.
Selon un maître, qui préfère garder l’anonymat, les enfants mendient pour leur propre compte ou pour des proches qui sont avec eux dans l’école.
A ce propos, le directeur du centre de protection et d’intégration sociales des enfants de Kiffa, crée par le ministère des Affaires sociales, de l’Enfance, et de la Famille, Mouhamed Lémine Ould Mouhamed Elhaj, se souvient d’une expérience avec les maitres.
« En 2013, notre centre a fait une proposition de partenariat avec les mahdara : le centre prend en charge la nourriture des enfants et offre un salaire d’environ 5000 MRU aux maitres. En contrepartie, les talibés ne devront plus mendier. Mais les maitres des mahdara n’ont pas accepté. Ils préfèrent l’argent rapporté par leur talibés. Chacun d’entre eux doit verser quotidiennement 30 à 50 MRU ».
Pour Mouhamed Lémine Ould Mouhamed Elhaj, Il s’agit d’une exploitation pure et simple de mineurs, et la plupart des enfants migrants venant des autres régions du pays ou du Mali, en sont les victimes. Raghya mint Sideyna estime que les enfants mendiants constituent une source d’enrichissement que les maitres abandonneront très difficilement.
« Il est très difficile de convaincre les maitres des mahdaras de collaborer avec la société civile, dans le cadre de la promotion des droits de l’enfants » Dit-il.
Ce n’est pas l’avis d’un maître coranique, qui est aussi l’imam de l’une des grandes mosquées de Kiffa. Il affirme que la mendicité apprend aux enfants l’humilité, et le sens de l’égalité, qui sont des valeurs fondamentales d’une bonne éducation.
« Les parents de certains élèves ont les moyens de leur payer des habits décents, et les prendre correctement en charge. Mais nous envoyons les enfants mendier pour qu’ils soient humbles devant les élèves dont les parents sont pauvres ».
Abdallah, maitre d’une école coranique, a une explication différente: « Ce sont les parents d’élèves qui ne respectent pas les conditions de l’école dont la principale est la pris en charge de la nourriture et les habits des enfants ». Il va jusqu’à rejeter la pratique :« Nous condamnons cette pratique honteuse, et nous n’avons jamais poussé nos élèves à la mendicité. Nous prenons certains élèves en charge, mais pas tous ».« Notre école n’a connu ce fléau qu’à partir de 2009 »
Risques et menaces
« Il y a actuellement une maladie extrêmement dangereuse, (coronavirus) et ces enfants mangent des restes de nourriture et dorment dans la rue », s’inquiète Raghya . « Un jour un boutiquier m’a appelé pour que je vienne constater un cas de vol commis par un enfant mendiant. Cet enfant avait déchiré un sac de sucre à l’aide d’une lame de rasoir ou d’un couteau, de sorte que le sucre se déverse dans son pot qu’il avait placé en dessous du sac. Qaund on lui a demandé pourquoi il fait cela, il dit que s’est son maitre qui lui a demandé d’apporter 30MRU, sinon il ne mangera pas avec ses camarades à la maison». Rajoute-t-elle.
Selon le site d’information locale, kiffainfo.net, un enfant du nom de Mamadou a été renversé par une voiture l’année dernière, ce qui lui a couté une fracture au bras. Après un séjour de quatre jours à l’hôpital, son maitre n’a même pas remarqué son absence.
Perceptions
Sur le nombre des talibés, les sources sont multiples et contradictoires.
Le réseau Petite Enfance-Assaba estime le nombre d’enfants mendiants à 373 dont 90% sont des talibés. Ils seraient présents à Kiffa, Guérou, Kankossa et, dans une moindre mesure ; à Barkéole. Ces chiffres sont très éloignés de ceux du ministère des Affaires Sociales, pour qui le nombre d’enfants de la rue, à Kiffa, se situe entre 1000 et 1300, (Kiffainfo.net), et à 17000, sur le plan national (Cridem). La police locale exige une autorisation du ministère de l’intérieur pour communiquer les chiffres relatifs aux talibés mendiants. Les données des ONGs internationales opérants dans la région, sont accessibles à partir Nouakchott.
Les talibés mendiants sont perçus de différentes manières par la société. Si certains voient en eux des enfants maltraités ou exploités, d’autres estiment que ce ne sont que de petits voleurs à mettre en prison. Quand certains pointent du doigt les maitres, d’autres s’en prennent aux parents ou à l’État.
« Ils rodent autour des restaurants, des boutiques, des épiceries, et entrent dans les maisons durant les heures de déjeuner et de diner, des moments vraiment inappropriés. Et en plus ce sont des voleurs professionnels », dit une habitante, témoin d’un cas de vol commis par un talibé.
« Ils sont jeunes et ne savent ce qu’ils font. Ils ne mangent pas comme il fau, et sont très mal entretenus. Ils sont même exposés à toutes sortes d’abus », Compatit un chauffeur de taxi, qui ne décolère pas contre l’État qui « laisse les enfants talibés sans secours ».
Selon l’Unicef, plusieurs facteurs poussent les parents à confier leurs enfants à un marabout : la pauvreté, le dévouement religieux, mais aussi l’éloignement des infrastructures scolaires.(www.humanium.org).Par contre, les membres de la société civile locale accusent les maitres d’exploiter les enfants mendiants comme un fonds de commerce à travèrs lequel ils amassent de l’argent, et refusent catégoriquement de collaborer avec eux.
Le président de l’Observatoire mauritanien de droits de l’homme, maonsieur Amar Mouhamed Najem ne mâche pas ses mots : « Ce sont des enfants dont les droits fondamentaux sont bafoués » (kassataya.com).
Beaucoup de maîtres coraniques ont tendance à pointer du doigts les parents de leurs disciplines.
« J’ai au moins une trentaine d’enfants chez moi à ma charge, je n’ai pas un travail lucratif, et je ne suis pas non plus rémunéré mensuellement par les parents de mes élèves. Voulez vous que j’aille voler pour nourrir et habiller ces enfants ? » A déclaré à nos confrères de Seneweb, Samba Bâ, un maître de coran qui trouve que faire mendier ces enfants est la seule solution pour faire face aux charges que leur hébergement induit.
Passer de Talibé-mendiant à talibé-apprenant
Le centre de protection et d’intégration sociale des enfants de Kiffa a réussi a réinsérer des centaines d’enfants à l’école, entre 2013 et 2019, dont certains talibés-mendiants. Mais le directeur du centre déplore le manque de volonté des maitres coranique, quand à l’insertion à l’école. « L’Etat a crée plus de huit centres similaires dans le pays : quatre à Nouakchott et un centre dans chacune des villes d’Aleg, Nouadhibou, Rosso et Kiffa. »
Dans le même registre, réseau Petite Enfance-Assaba organise des campagnes de sensibilisations contre la mendicité des enfants. « Nous participons également au renforcement de la sécurité alimentaire de301 talibés grâce à des distributions de kits alimentaires. », informe sa présidente
Les maitres coraniques, eux sollicitent une subvention de l’État, le soutien des ONG caritatives, et la solidarité de la société mauritanienne avec les talibés.
L’expérience développée par Kane Abderrahmane, ancien talibé-mendiant semble être une voie prometteuse.il dirige deux centres à Nouakchott, dans lesquels soixante talibés sont instruits et nourris quotidiennement. Les centres aident les enfants à apprendre un métier et à maitriser les langues.(www.kassatya.com).
D’un autre coté, le gouvernement a annoncé, en novembre 2019, l’ouverture de centres d’accueil pour la prise en charge de l’éducation des talibés-mendiants. Madame Néné Kane, la ministre des Affaires Sociales de l’Enfance et de la Famille, dit que « les enfants seront accueillis dans ces centres ; ils auront des cantines scolaires ; ils seront habillés et viendront tous les jours, et le soir on leur permettra de rentrer chez eux » (source RFI).
Plusieurs mois après cette annonce, les centres n’ont toujours pas vu le jour. Les maitres seront- ils prêts à abandonner ce qui est présenté comme étant leur fonds de commerce ? Et les parents, dans tout ça ? Il serait peut être pertinent de les sensibiliser sur les droits de leurs enfants, mais aussi renforcer leurs capacités financières pour qu’ils puissent prendre en charge leur éducation, dans des conditions décentes. En attendant la mise en œuvre de ce projet, les enfants continuent à être envoyés dans la rue pour mendier, dans une violation flagrante de leurs droits.
Abdourazak Anne
Kiffa, le 11Mars 2020.
Sujet toujours d’actualité dont la victime reste toujours la petite enfance et le principal responsable reste l’État à réduit à la pauvreté la majorité de la population.
Correction :…qui a réduit…