Camara Seydi,
En règle générale, il n’est guère dans mes habitudes – et tu le sais fort bien – de sympathiser avec mes collègues journalistes parce que je ne crois pas qu’il faille nécessairement soutenir un frère ou un collègue, qu’il soit victime ou coupable pour prouver qu’il l’est. De sorte que si, d’aventure, il m’arrive de sympathiser avec l’un d’eux, ce ne pourrait être qu’en raison de ma connaissance de la personne, pas du journaliste ou du frère.
Cher ami,
Après que l’épaisse fumée de l’odieuse bataille s’est dissipée et que les communications se sont établies, quelle n’a été ma consternation d’apprendre ton enlèvement et ton absence de chez toi, ton éloignement de tes enfants !
Il est vrai que tu te soucies des droits des esclaves, comme de ceux des victimes du racisme, mais également des droits de tous les mauritaniens. Si bien que tu ressens au plus profond de ton être la souffrance quand tu en viens à savoir que quelque part un de tes concitoyens est lésé ou spolié.
Et voilà que, contre toute attente, ils te kidnappent ! Comment oseraient-ils ? Il va sans dire que, ce faisant, jouissant du bonheur de t’avoir à leurs côtés – ah, quelle aubaine ! – ils feront connaissance avec un homme sincère, aimable, charmant, amusant et pacifique. Quoiqu’ils fassent, ils auront beau remuer ciel et terre, ils ne pourront prouver que ton dévouement à ta nation, que ton amour pour ton peuple !
Et vous, amis d’enfance, qui jadis fûtes des nôtres au beau quartier de la «BMD», et qui êtes présentement immigrés.
Ô bons goélands, qui abandonnâtes votre patrie pour fuir l’injustice et la misère.
Et vous autres, qui êtes maintenant assis sur des bancs en bois dans le terrain du quartier, comme dans l’attente fébrile de l’envol de quelque « sabbar » frénétique magnifiquement réalisé par l’ardente Nene, qui fait des siennes au rythmes des tambours, quand cela lui chante, au gré de sa sponatanéité désarmante.
Mes frères, mes camarades,
En un rien de temps, ils ont coupé le Net et nous ont isolés, mettant en quarantaine certains de nos quartiers sous prétexte que des extrémistes, venus du ciel ou surgis de sous terre, à la faveur d’improbables soutiens de l’étranger, se seraient avisés, sans crier gare, de déstabiliser et de détruire le pays !
Du coup, nous sommes sans nouvelles et il ne nous reste plus qu’un ministre de l’intérieur qui n’excelle guère dans l’invention d’accusations infondées et l’écriture de pièces de théâtre. Mon cœur se fend de douleur et de chagrin, à l’écoute des discours [du ministre de l’intérieur], à la vue de la militarisation, à l’entente des murmures, face à ces yeux apeurés, ici et là, partout ! Et j’ai su qu’ils s’apprêtent à écrire un texte raciste, triste, abominable, indigeste !
Je me rappelle la façon dont nous jouions et échangions le ballon tandis que nos parents, à la maison, s’échangeaient des regards de reproches et des accusations mutuelles de racisme. Car, les mensonges du ministre de l’intérieur d’alors les avaient convaincus.
Mais, en dépit de leur crainte les uns des autres, ils ne nous avaient pas influencés et nous n’étions pas affectés par leurs paroles. Jamais, pas une fois.
Puis vint la crise du Sénégal. Là, la position de notre quartier est éternelle. Comme par miracle, nous tous, blancs et noirs, nous nous levâmes comme un seul homme, face aux tentatives infâmes de l’armée de renvoyer par-delà les frontières, au-delà du fleuve, des familles, des nôtres, de notre pays et de notre beau quartier.
Des familles encore présentes dans nos souvenirs, dans notre mémoire collective, dans le quotidien de notre enfance, celle de chacun de nous tous.
Je me surprends à compter ces années de braise qui, en dépit de leur brièveté, équivalent à plusieurs décennies. Les patriotes les ressentent comme des siècles de châtiment collectif et seuls les démons aux cœurs morts voudraient nous les faire revivre !
Ibrahima Diop Diop, Vieux, Bara, Aliou, Oussou, Sadio, Osmane Gandéga, mouna, mon frère aîné Djibi Fama, patee…
Ah, mes amis, mes frères,
Nous avons tous grandi. Quelque part, en terre d’exil, il me souvient d’avoir rencontré le grand, le regretté Mortoudo, qui jamais ne manquait de me serrer fort contre lui, en disant: « C’est le cœur du Beidane, du bédouin, empli de bonté, tel que nous l’avons toujours connu ». Et j’en connais beaucoup trop d’autres, avec qui je partage la lutte contre les militaires envahisseurs.
Des années plus tard, notre foi s’est démultipliée que vous êtes notre famille, notre peuple, que nous sommes des vôtres, que vous êtes des nôtres. Que nous sommes citoyens, et que nous pâtissons tous de la meurtrissure d’être un pays aux mains de quelques individus armés qui se jouent de nous tous, qui se jouent de notre pays.
Peu nous chaut que certains de nos aînés se soient laisser tromper, sciemment ou inconsciemment, par les discours, les fuites, la propagande et tutti quanti… d’une armée raciste et chauvine à l’époque. Et qui ne le demeure pas moins trente ans plus tard!
Nous réalisons maintenant que notre ennemi commun est le soldat si prompt à se retourner contre la Constitution, qui confisque sans remords les voix du peuple pour que seule sa voix, affreuse et imbuvable, reste l’unique voix du pays.
Tous les messages ayant été diffusés au fil des jours dans les médias sociaux ne pourraient attiser que les émotions des seuls esprits stupides, bizarres qui ne sont même pas fichus de mûrir mentalement et qui n’ont pas eu le bonheur de vivre dans les quartiers mixtes de la capitale !
À vous tous, autant que vous êtes, je dis : Ne vous laissez pas tromper par les politiques et leurs propagandes mensongères. Ce sont des criminels et des fieffés menteurs qui nous persécutent pour nous voler au bout du compte, quand bien même cela nécessiterait la destruction des liens et des relations tissés par nos quartiers mixtes et nos villes cosmopolites.
Je suis toujours tel que j’étais, ce garçon qui vous aime tous et se nourrit de ses souvenirs qu’il partage avec vous et ne veut point d’une patrie où vous ne seriez pas vous qui me ressemblez tant.
J’aime mon père Tshombé et ma mère Aminata et mes frères Yéro, Alassane, et Papis.
Je vous aime tous.
Quant à toi, Camara, reste avec tes ravisseurs qui apprendront à leur corps défendant ton humanité, ton amour pour ton pays, ton pays aux couleurs bigarrées, blanc et noir.
À la fin, nous triompherons avec nos Haratines, nos Beidanes, nos Wolofs, nos Peuls et de nos Soninkés.
Nous sommes une belle patrie, habitée par des gens pacifiques, tolérants, attachants. Il se trouve simplement que les armes et le pouvoir, pour notre malheur à tous hélas, sont entre les mains de barbares qui ne veulent pas de bien aux êtres humains que nous sommes.
Je vous aime tous.
Nous vaincrons.
Je suis fier d’avoir vécu avec vous.
Journaliste
Salut, cher frère. C’est Med Yahya Abdel Wedoud. Ci-après le lien de ma traduction de l’article de notre frère Mohamed Lemin Mahmoudi que tu as publiée ci-dessus, en omettant -ce n’est pas ta faute – de faire mention de mon nom comme traducteur, d’autant que la version française comprend bien choses que j’y ai ajoutées, il me plaît souvent de le faire.
https://www.facebook.com/yahwedoud/posts/2231653703562084
Cordialement
Ton frère Yahya Abdel Wedoud.