Il arrive dans la vie d’une nation des moments où l’hésitation devient une faute et le silence une forme de renoncement. La Mauritanie traverse aujourd’hui l’un de ces instants décisifs. Les arrestations intervenues à l’occasion de la marche du 28 novembre 2025 ne sont pas de simples incidents administratifs. Elles sont les symptômes d’un malaise plus profond : l’incapacité persistante de l’État à répondre avec lucidité et courage aux revendications légitimes des victimes du passif humanitaire de 1989-1991.
Monsieur le Président de la République, vous êtes constitutionnellement le garant des libertés publiques et le symbole de l’unité nationale. Votre responsabilité dépasse désormais la gestion quotidienne des équilibres politiques : elle engage l’honneur de l’État et la mémoire vivante du pays.
Les victimes ne sont ni des adversaires, ni un problème sécuritaire
Les veuves, les orphelins et les survivants ne sont pas des fauteurs de troubles. Ils ne sont pas les représentants d’une communauté dressée contre d’autres composantes de la Nation. Ils sont des citoyens meurtris, porteurs d’une exigence universelle : vivre enfin dans un pays qui reconnaît leurs souffrances, établit la vérité et répare ses blessures.
Les présenter comme des ennemis de l’ordre public ou des facteurs de division serait une erreur aux conséquences dangereuses. Une nation qui se construit contre ses victimes se fragilise de l’intérieur. Une paix imposée par le silence est toujours provisoire ; une paix bâtie sur la justice est durable.
La lucidité d’un chef d’État
L’expérience des nations sorties de crises graves le démontre avec constance : aucun pays ne se stabilise durablement en esquivant son passé. L’Afrique du Sud, l’Argentine, le Chili, le Rwanda, le Maroc ou encore le Canada ont engagé des processus de vérité et de réparation non parce que c’était politiquement confortable, mais parce que c’était indispensable.
Dans les sociétés occidentales, les mobilisations citoyennes pour la défense des causes palestiniennes ou pour la solidarité avec les victimes de violations des droits humains ailleurs dans le monde sont considérées comme l’expression normale d’une conscience démocratique. Elles sont protégées, non criminalisées. Pourquoi ce qui est compris ailleurs comme un acte de civisme deviendrait-il, en Mauritanie, un acte de défiance lorsqu’il touche nos propres traumatismes ?
Assumer un leadership exemplaire
L’heure est à un véritable acte d’autorité morale. Gouverner ne consiste pas seulement à maintenir l’ordre : gouverner, c’est ouvrir des chemins. L’histoire ne retient pas les dirigeants qui ont évité les sujets difficiles, mais ceux qui ont eu le courage de les affronter.
Monsieur le Président, vous disposez aujourd’hui d’une occasion historique de marquer durablement votre mandat :
- En ordonnant la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées pour avoir exercé leur droit de manifester pacifiquement ;
- En mettant fin à toute criminalisation des mobilisations mémorielles ;
- En lançant un processus national crédible de justice transitionnelle, fondé sur une commission indépendante de vérité, l’ouverture des archives, l’identification des fosses communes, la reconnaissance officielle des crimes commis, et un dispositif transparent de réparations ;
- En révisant le cadre juridique, notamment la loi d’amnistie de 1993, incompatible avec les engagements internationaux de la Mauritanie ;
- En érigeant le devoir de mémoire en politique publique, à travers des lieux de recueillement et des programmes éducatifs.
Ce n’est pas faire preuve de faiblesse que d’écouter les victimes ; c’est affirmer l’autorité d’un État sûr de ses valeurs.
Le choix entre l’histoire et l’immobilisme
La Mauritanie ne manque pas de discours sur l’unité nationale. Ce qui a manqué jusqu’ici, c’est le courage de traduire ces paroles en actes. Le thème choisi par l’Union africaine en 2025 – « Justice et Réparations » – résonne comme un rappel à nos propres responsabilités, d’autant plus pressant que notre pays a présidé l’organisation en 2024 sans avoir réglé son propre contentieux mémoriel.
Monsieur le Président, la lucidité impose une évidence : on ne consolide pas une nation en tournant le dos aux blessures de son peuple. On la consolide en les regardant en face, en disant la vérité et en rendant justice.
L’histoire n’attend pas indéfiniment. Elle observe, elle juge et elle retient.
Le moment est venu d’exercer un leadership exemplaire pour imposer la voie du courage, de la vérité et de la réparation.
Parce qu’il n’y a pas de réconciliation sans justice.
Parce qu’il n’y a pas d’unité sans reconnaissance.
Parce qu’il n’y a pas d’avenir lorsque le passé demeure enseveli dans le silence.
Initiatives News
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