Les travaux du Comité intergouvernemental de hauts fonctionnaires et d’experts pour l’Afrique du Nord se poursuivent pour la 2ème journée consécutive à Rabat.
Ce matin le forum des experts a débuté. Il est placé sous le thème du renforcement de la mobilisation des ressources nationales (MRN) grâce à des politiques innovantes et aux technologies numériques.
L’ouverture officielle du forum s’est déroulée en présence Du directeur des Impôts du Maroc.
Le débat des experts autour de cette problématique est un moment opportun et stratégique a déclaré Mr Adam B. Elhiraika directeur du Bureau de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA) en Afrique du Nord.
Il a ajouté que les objectifs derrière cette mobilisation des ressources nationales sont de permettre le financement du développement et de se doter d’une construction financière solide.
Il s’est par ailleurs félicité des bons résultats réalisés par certains pays de la région qui ont réussi à atteindre un niveau élevé de collecte des impôts alors que d’autres pays sont très en retard.
Mr Adam a rappelé au passage l’appel lancé en juillet 2025 à travers la Déclaration de Séville, un appel à la justice fiscale, lancé à l’échelle mondiale et qui cible les plus riches.
Cette initiative plaide pour une réforme ambitieuse du système fiscal mondial. Une réforme dans laquelle les plus fortunés paieraient enfin leur part.
Selon le directeur du bureau il faut au moins un seuil de 15% (ratio impôts/PIB) pour gérer un pays. C’est le niveau minimum. De ce fait, la numérisation des services fiscaux est une urgence car le système actuel est obsolète, a-t-il ajouté.
A l’issue de la réunion des experts, des recommandations concrètes seront faites pour appuyer les pays et leurs institutions financières, a-t-il conclu.
Pour sa part, Abou Bakr El Himer responsable des Impôts au Maroc a déroulé l’expérience du royaume considéré comme un pionnier dans la digitalisation du système fiscal.
Nous vivons dans un monde où la compétence et la concurrence sont une exigence a-t-il affirmé d’emblée.
Plusieurs facteurs concourent à ce changement : la mobilité des actifs et des personnes, l’évolution de l’environnement international, l’évolution de la société civile qui bouge et qui demande des comptes.
Et le responsable marocain d’ajouter que l’impôt est une contribution collective, un pilier du contrat social. Donc l’enjeu c’est de renforcer et de sécuriser cette source primordiale de financement.
Mais dit-il il convient de rendre l’impôt plus simple, plus juste et plus équitable et ce dans le but de financer les programmes publics. Il faut simplifier l’exercice pour le contribuable.
En 2019 ont été organisées les assises nationales sur le thème de l’équité fiscale. L’enjeu c’était d’élargir l’assiette fiscale car il ne fallait pas que la charge repose toujours sur les mêmes.
Il faut aussi que les gens sachent où vont leurs contributions.
Au Maroc il y a eu une réforme du dispositif depuis quelques années, une réforme qui s’appuie sur l’exploitation des opportunités offertes par les nouvelles technologies.
Aujourd’hui, toutes les déclarations sont faites en ligne au Maroc. En 2024, le nombre de déclarations faites en ligne a atteint 5 millions. Les télépaiements ont atteint 12 millions la même année. Et le nombre d’attestations en ligne a atteint 4,6 millions en 2024.
Ainsi, le taux de dépôts électroniques a atteint 100%. Le volume des dossiers vérifiés a évolué atteignant 32%.
On note une progression de 11% des recettes fiscales de 2020 à 2024.
Aujourd’hui, avec les GAFA et l’essor du numérique, les choses ont fondamentalement changé.
Abordant les défis, Abou Bakr El Himer a affirmé que l’usage des techniques numériques pose des problèmes de sécurité et d’éthique. Il y a la question de la confidentialité de la donnée qui doit être prise en compte vu les problèmes de la cyber sécurité. Au Maroc il y a la loi 020 sur la confidentialité et la protection des données personnelles.
C’est ce qui explique la mise en place d’un package pour renforcer la sécurité des systèmes d’information et la fiabilité des dispositifs.
Répondant à une question sur le secteur informel, il a souligné qu’il convient de faire la différence entre le secteur formel de subsistance et il y a ceux qui exploitent cette économie. Il s’agit de grandes structures qui utilisent le secteur informel pour échapper à l’impôt.
Ainsi, l’administration s’appuie sur les dispositions réglementaires et fait des recoupements pour identifier ces structures.
A la question comment sortir de l’informel, le responsable marocain entame sa réponse par une autre question. Quel intérêt d’évoluer dans le secteur informel ? Dans le cas marocain, une étude identifie des pistes de solution. On propose aux candidats de payer un montant symbolique, la Contribution Professionnelle Unique (CPU) qui est de 100 à 1000 Dirhams. En contrepartie on offre une couverture sociale (retraite) et une couverture médicale. Cette offre a été à l’origine d’une sortie massive du secteur informel vers le secteur formel.
Miser sur le numérique
La réunion des experts a planché sur 3 questions fondamentales qui ont chacune fait l’objet d’une session.
Les 3 sessions sont les suivantes : Mobilisation des ressources nationales en Afrique du Nord, partage d’expérience ; Elargir l’assiette fiscale et augmenter les envois de fonds ; Tirer parti des technologies numériques pour améliorer la GRD.
Plusieurs panélistes se sont succédé en présentiel et en ligne pour exposer sur ces différents sujets.
Au cours de la première session, le directeur du bureau d’Afrique du Nord a fait une présentation qui a tourné autour des expériences dans les différents pays de la région.
Mr Arthur Minsat du Centre de Développement de l’OCDE a exposé les stastiques sur les recettes publiques affirmant que la moitié des pays africains ont connu une baisse fiscale importante au cours des dix dernières années.
La 2ème session a abordé en profondeur les questions de l’inclusion financière et de l’évasion fiscale.
Une présentation a aussi été consacrée aux transferts de fonds par les migrants. Il s’agit de la source de fonds la plus résiliente. Les fonds concernés sont énormes : 100 bilions en 2025, plus que l’aide publique au développement et les IDE.
Un programme du bureau de la CEA en Afrique du Nord visant à appuyer certains pays du continent (Comores, Cote d’Ivoire, Egypte et Lesotho) afin de profiter de cette manne a été lancé.
La dernière session fut l’occasion pour les pays présents de présenter leurs expériences en matière de digitalisation des services fiscaux.
Ainsi, en renforçant la mobilisation interne des ressources-à travers une fiscalité efficace, une mobilisation de l’épargne et une gouvernance financière solide, les gouvernements réduisent leur dépendance vis-à-vis de l’aide volatile, des investissements directs étrangers (IDE) et des cycles de dette souveraine. Une base de recettes publiques robuste favorise la stabilité et la crédibilité des finances publiques et offre une marge de manœuvre pour une planification stratégique durable.
En effet, la mobilisation des ressources nationales ne repose plus uniquement sur la fiscalité et l’épargne, mais de plus en plus sur la manière dont la transformation numérique peut moderniser les systèmes fiscaux, réduire les fuites et élargir l’assiette fiscale. La numérisation permet de remédier aux goulets d’étranglement structurels-tels que l’informalité, la faible conformité, et la fragmentation des systèmes de données-en introduisant des outils rendant l’administration fiscale plus efficace, plus transparente et plus accessible.
Au-delà des systèmes fiscaux, la finance numérique ouvre de nouvelles perspectives pour mobiliser l’épargne nationale. Les plateformes de paiement mobile et les solutions de technologie financière élargissent l’accès aux services financiers pour des populations auparavant exclues. En Afrique subsaharienne, par exemple, le paiement mobile a conduit à la création de plus de 400 millions de nouveaux comptes financiers. En Afrique du Nord, la mise en place à grande échelle de solutions similaires pourrait considérablement stimuler l’épargne des ménages, formaliser les économies fondées sur l’argent liquide et offrir aux gouvernements de nouvelles opportunités, telles que l’émission d’obligations de détail ou d’instruments financiers liés au climat.
Bakari Gueye/Rabat
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