Par Ousmane H. Doucouré
En Mauritanie, l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive reste dramatiquement limité, surtout dans les zones rurales. Dans certains villages, les femmes donnent encore naissance dans des cases en banco couvertes de chaume, transformées en salles d’accouchement précaires, sans matériel médical adapté. Dans ces conditions, donner la vie devient un pari mortel.
Quand donner la vie devient un risque mortel
Les statistiques parlent d’elles-mêmes : la mortalité maternelle atteint encore 424 décès pour 100 000 naissances vivantes, et la prévalence contraceptive moderne plafonne à 14,3 % (EDS 2020). Derrière ces chiffres se cachent des réalités poignantes. Dans le Gorgol, une femme transportée sur une charrette vers un centre de santé a perdu la vie en accouchant de triplés. Une tragédie évitable, symbole d’un système qui peine à protéger les plus vulnérables.
Ces drames sont aggravés par l’isolement géographique. 46 % des femmes rurales doivent parcourir plus de 30 km pour atteindre un centre de santé, souvent sur des pistes sablonneuses, avec des charrettes tirées par des ânes — comme celles qui transportent aussi les bidons d’eau indispensables au quotidien. Pendant l’hivernage, des villages entiers sont coupés du monde, exposant les femmes à des accouchements non assistés dans des cases insalubres.
La voix des femmes : entre silence et résistance
Hapsatou Sy, mère de deux enfants, raconte :
« J’ai vécu des moments très difficiles après deux grossesses rapprochées. J’ai parlé de planification familiale avec mon mari, mais il a refusé, en avançant des arguments religieux. J’étais impuissante. »
Son histoire illustre le poids du patriarcat et la faible implication des hommes dans les décisions liées à la santé reproductive.
MGF : une pratique qui tue encore
Les mutilations génitales féminines (MGF) touchent encore 63,9 % des femmes mauritaniennes (EDS 2019-2021), avec des taux effarants de 93,7 % au Hodh Chargui et 88,2 % au Tagant.
Batouly Gaye, militante associative, témoigne :
« Nous avons été chassés de villages quand nous avons voulu sensibiliser contre les MGF. Et ma propre sœur est morte nourrisson, après une hémorragie causée par l’excision. Cette douleur me pousse à continuer le combat. »
Quand la religion éclaire le débat
Face aux résistances culturelles, certains imams rappellent que l’islam autorise l’espacement des naissances et n’impose en rien l’excision. « Une femme non excisée peut prier, se purifier et se marier », affirme l’imam Abdallahi Sarr.
Ces prises de position sont essentielles pour briser les mythes qui alimentent des pratiques dangereuses.
La société civile en première ligne
Des associations locales comme l’AGD, avec l’initiative Sahel Engage, travaillent avec des leaders religieux et des jeunes pour déconstruire les tabous autour de la contraception et lutter contre les MGF. Mais la tâche reste immense : sensibiliser dans les villages reculés, là où les femmes accouchent encore dans des cases de fortune et où l’accès à l’eau et à l’hygiène est une lutte quotidienne.
Briser les tabous pour sauver des vies
Pour qu’aucune femme ne meure en donnant la vie, il est urgent :
- d’impliquer davantage les hommes dans la prise de décision,
- de renforcer la voix des religieux éclairés,
- de soutenir les initiatives communautaires,
- et d’élargir l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive jusque dans les zones les plus reculées.
Les images de ces cases précaires transformées en maternités improvisées, de femmes soignées avec des moyens dérisoires et de familles transportant l’eau à dos d’âne, rappellent une vérité crue : sans infrastructures adaptées, les femmes continuent de payer le prix fort.
Briser les mythes et les tabous, c’est sauver des vies et redonner aux femmes mauritaniennes la dignité et les droits qui leur sont dus.


