Par Mansour LY*
(Nouakchott, le 06 juillet 2025) Certains hommes traversent la vie si vite qu’ils semblent à peine avoir touché terre, mais leur empreinte demeure éternelle. Ainsi fut Habib Ould Mahfoudh, comparable à Mozart ou Al-Mutanabbi, qui, en peu d’années, bâtirent des œuvres immenses et inoubliables. Habib n’a pas eu le temps de vieillir, mais la lumière de son esprit continue d’éclairer nos chemins, rappelant avec Averroès que « la connaissance est la lumière qui dissipe les ténèbres de l’ignorance ».
Né sous la tente, où chaque mot porte un engagement, Habib grandit entre tempêtes de sable et tourbillons d’idées. Un Larousse offert par son père devint pour lui le symbole de son destin, celui d’un passeur entre deux mondes. Habib portait plusieurs prénoms, autant d’identités et de rêves : Beddah, H’bib, Mahfoudh. De ses ancêtres Idabhum, il hérita la mesure et la modération ; d’Awlad Ahmed Ben Deman, l’esprit vif ; d’El Gor, la résilience du combattant. Il revendiquait son identité Bidhân tout en refusant le repli identitaire. Il maniait la langue française avec subtilité, enrichissant son écriture de mots hassaniya, rappelant sans cesse que traduire, ce n’est pas trahir, mais élargir l’horizon. Il contestait les puristes et dénonçait les immobilistes qui utilisaient le sacré pour freiner la justice.
Habib ne cherchait pas à plaire, il voulait simplement dire. Dire haut que la Mauritanie est complexe, composée de langues, de cultures et d’histoires diverses, et que cette richesse doit être célébrée. Il aimait répéter : « Écoute, apprends, comprends ». Il enseigna à Aioun, Atar, Nouadhibou, mais jamais il n’enseigna la soumission. Son terrain privilégié fut la presse libre, Le Calame, Mauritanides, où sa voix se faisait entendre avec clarté et courage. Il combattait la langue de bois, les préjugés communautaires, et l’esclavage déguisé en tradition. Il s’élevait contre ceux qui tentaient de cloisonner la Mauritanie tout en proclamant hypocritement l’unité. Sa plume mêlait poésie et révolte, humour et sagesse, traduisant la nostalgie d’un chameau en français, ou glissant des vers hassaniya comme un défi lancé au lecteur : « Tu veux comprendre ? Approche, écoute, apprends ». Il citait volontiers ce proverbe hassaniya : « La parole est comme l’eau, elle irrigue ou elle noie ». Lui avait choisi d’irriguer. Habib regrettait le silence des poètes d’antan, la nostalgie des nuits d’Akarkar aujourd’hui désertées. Mais cette nostalgie était pour lui un appel à l’action, une incitation à la jeunesse pour prendre la parole, défendre la vérité et éviter la facilité. Sa fidélité à l’identité n’était jamais figée, toujours interrogée et renouvelée. Il rêvait d’une Mauritanie plurielle, enracinée mais ouverte aux vents du monde. Habib est parti trop tôt, mais sa parole demeure, sa vérité demeure, son rêve demeure.
Aujourd’hui, il ne nous appartient plus, il appartient à la Mauritanie entière. À chacun de nous de porter sa flamme plus loin, afin que sa voix continue de résonner.
اللهم ارحم روحه واغفر له « Ô Allah, accueill son âme dans Ta Miséricorde. »
Ces mots, nous les devons à Habib. Ils rappellent que nous pouvons encore rassembler plutôt que diviser, dénoncer sans renier, et toujours demeurer authentiques.
Nous continuerons à parler pays, à faire nation, comme il nous y a exhortés.
*Juriste/Consultant