Par Oumar Amadou M’Baye
Le 14 mai 2025, la Mauritanie s’est figée dans une tristesse silencieuse. Le décès du Cheikh Mohamed Abdarahman Ould Ahmed, plus connu sous le nom de « Ould Veten », a bouleversé les cœurs de milliers de fidèles, d’élèves, de proches et d’admirateurs.
À son retour de Tunis, où il a rendu l’âme, des foules venues de tous les coins du pays se sont pressées autour de sa mosquée pour lui rendre un dernier hommage. Le silence pesait autant que les larmes, et dans chaque regard se lisait la reconnaissance envers un homme dont la vie tout entière avait été un don fait à Dieu, à la science et à la communauté. Qu’Allah lui accorde Sa miséricorde et l’élève parmi les vertueux.
Naissance et parcours du Cheikh Veten :
Il est né en 1953 à Boutilimit, dans la wilaya du Trarza, plus précisément dans le village de Tounghadej . Le Cheikh Veten s’est distingué très tôt, notamment dans le domaine de l’exégèse du Saint Coran. Il était une référence dans l’interprétation du Livre de Dieu. Il excellait également dans la science du hadith authentiquedu Prophète (PSL), qu’il s’efforçait de défendre et de diffuser, tout en combattant les innovations religieuses (bidaa) et les superstitions répandues dans la société.
Ould Veten a très tôt manifesté un attachement profond au savoir religieux. Fils d’un maître coranique et d’une mère pieuse, il fut baigné dans un climat spirituel et éducatif dès ses premières années. À neuf ans à peine, il avait mémorisé le Coran dans son intégralité, recevant par la suite l’ijaza dans la lecture de Nafi’. Très jeune, il fut confronté à la nécessité de soutenir sa famille à travers le commerce, s’éloignant momentanément des études. Mais sa soif de science et son amour du savoir l’ont vite ramené vers les sentiers du fiqh, du tafsir et des sciences du langage, avec une ardeur qui ne l’a jamais quitté jusqu’à son dernier souffle.

Il devint l’élève de grands savants tels que Cheikh Mohamed Salem Addoud, Boudha Ould Al-Boussayri et d’autres éminents érudits du pays. Il étudia également les commentaires de l’imam Al-Suyouti, l’exégèse d’Ibn Kathir et d’Al-Baghawi, puis se spécialisa dans la langue arabe, la grammaire et la poésie. Cette maîtrise ne fit pas de lui un simple détenteur de connaissances, mais un transmetteur généreux et passionné. Cheikh Ould Veten fut enseignant au Centre de formation des savants, puis à l’Institut Supérieur d’Études et de Recherches Islamiques (ISERI). Il était membre du conseil scientifique de la Radio du Coranet de la chaîne Al-Mahdara. Il participait régulièrement aux émissions guidant des générations entières par ses explications limpides, ses prêches profonds et ses interventions toujours empreintes de douceur et de justesse.
Sa voix n’était pas seulement celle de la science, mais aussi celle de la paix. Il refusa toute instrumentalisation politique, déclina des postes de responsabilité, les avantages et les faveurs, se consacrant pleinement à son rôle de guide spirituel. Sa réputation d’érudit était égalée par celle d’un homme humble, doux, sincère et loyal. Il était aimé pour sa simplicité, respecté pour sa rigueur, admiré pour son courage. Même face aux menaces ou aux pressions, il ne céda jamais. Il parlait avec fermeté quand la vérité l’exigeait, mais toujours avec le sourire du sage et la sagesse du cœur.
Ses compagnons de route, notamment au sein de l’Association Al-Mustaqbal, témoignent d’un homme fidèle en amitié, constant dans ses engagements, dont la présence rassurait et dont les silences étaient aussi éloquents que ses paroles. Ils évoquent un homme qui, dans chaque interaction, laissait une trace de lumière, une graine de foi ou un éclat de vérité. Ses élèves parlent de lui avec amour et respect, certains le considérant comme un père spirituel, d’autres comme le modèle d’une vie réussie au regard de Dieu.
Il était très apprécié pour son style, son immense savoir, sa gentillesse et son raffinement. Il était également connu pour sa mémoire prodigieuse, notamment dans la poésie maure et hassanya traditionnelle. Il a consacré toute sa vie à l’enseignement, à la prédication, et à la formation des étudiants, que ce soit dans les institutions, les mahadras ou dans sa propre mosquée située dans l’ancien aéroport. Cette mosquée porte le nom de « Mosquée Al-Hafidh Ibn Kathir », en hommage à son attachement particulier à Ibn Kathir, dont il appréciait énormément le tafsir (exégèse).
Témoignages d’une vie lumineuse
De nombreuses personnalités ont rendu hommage au Cheikh Mohamed Abdrahman Ould Veten, évoquant avec émotion son parcours exceptionnel, ses voyages riches d’enseignements, sa vie de famille empreinte de sagesse et d’humilité, ainsi que ses prédications profondes et inspirantes devant les fidèles.
A cette occasion Mr Cheikhany Ould Abdel Kader, Directeur de la Radio du Saint Coran, a souligné que « notre vénéré Cheikh, le défunt Mohamed Abd Rahman Ould Ahmed, connu et célèbre sous le nom de « Ould Veten » était l’un des grands érudits du pays, une véritable référence dans le domaine du savoir religieux. »
Cheikhany Ould Abdel Kader, qui maitrise le parcours du cheikh Veten, confirme « qu’il jouissait d’une grande notoriété médiatique et participait à de nombreuses activités scientifiques. Il fut l’un des fondateurs de l’Association Al-Mustaqbal pour la prédication, la culture et l’éducation, aux côtés du Cheikh Mohamed El Hassan Ould Dedew. Il a également été président du Forum des Ulémas au sein de cette association, actif en Afrique de l’Ouest. Il a visité régulièrement plusieurs pays de la sous-région, notamment le Sénégal, le Mali, la Gambie, entre autres, dans le cadre de ses tournées de prédication. »
Ould Abdel Kader a indiqué que Cheikh Veten était un des fondateurs de laRadio du Coran et de la chaîne Al-Mahdara, et il a été, dès le lancement de la radio du Coran, l’animateur du célèbre programme « Jawâhir at-Tafsîr » (Les joyaux de l’exégèse). Il s’agit d’un programme qui a comptabilisé plus de 300 épisodes, au cours desquels il a expliqué près de la moitié du Coran. « Il a poursuivi cette émission jusqu’à sa mort, que Dieu lui accorde Sa miséricorde. Le programme était diffusé en audio sur la Radio du Coran et en audio-vidéo sur la chaîne Al-Mahdara. » affirme-t-il.
Parmi les témoignages envers Ould Veten figure le savant éruditCheikh Mohamed El Hassan Ould Dedew, qui a souligné, dans sa khutba du vendredi, que « les savants véritables, ceux qui connaissent Allah, ne vivent pas comme les gens absorbés par les distractions du monde. Leur attachement va vers ce qui demeure, non vers ce qui est éphémère. Leur plus grande satisfaction est d’avoir dit la vérité, assumé leurs responsabilités et refusé de céder aux pressions sociales ou aux désirs matériels. »
Le Cheikh Dedew rappelle aussi l’un des vœux profonds du défunt : voir de son vivant la libération de la mosquée Al-Aqsa, la chute de l’occupation sioniste, et la victoire des opprimés en Palestine. « Même s’il n’a pas assisté à cet événement, son engagement en faveur de cette cause reste vivant et éloquent », précise-t-il.

Un autre témoignage sur l’érudit Ould Veten est celui de Cheikh Moussa Sarr, imam prédicateur, qui affirme que :«Le Cheikh spirituel, qu’Allah lui fasse miséricorde, faisait partie de ceux qui s’attachaient à transmettre la religion d’Allah à tous les musulmans et musulmanes, en s’appuyant sur des enseignements directement tirés des textes de la Révélation. »
« Je me souviens d’une fois où je marchais avec lui alors qu’il se rendait au studio de la Radio du Coran,je lui ai posé une question :Ô Cheikh, je prononce la khutba dans la mosquée Ihyaa As-Sunna, dans la moughataa de Sebkha, plus précisément dans le quartier de Kouffa, où la majorité des fidèles — pour ne pas dire tous — ne comprennent pas l’arabe. Est-ce que je peux faire le prêche dans leur langue, le wolof ? »« Il m’a répondu sans hésiter : Tu dois même faire le prêche dans la langue qu’ils comprennent. Et si j’en ai l’occasion, je t’écrirai une fatwa à ce sujet. »« Qu’Allah lui fasse miséricorde, et fasse de son savoir une source de compagnie et de lumière dans sa tombe. »
D’autres part l’Imam Cheikh Mahfoudh Ould Brahim Vall, Adjoint du cheikh Dedew au Markez des savants déclare le connaitre depuis des longues années.
« Nous avons partagé, par la grâce de Dieu, le chemin de l’enseignement, de la prédication et de l’administration. Il fut membre du bureau exécutif de l’Association Al-Mustaqbal pour la prédication, la culture et l’éducation dans ses premières années avant sa dissolution, puis membre du Conseil de la Choura après sa reprise, et ce jusqu’à son décès, que Dieu lui fasse miséricorde. Je l’ai accompagné également au Centre de Formation des Savants, où il siégeait au conseil scientifique et pédagogique. Il y enseignait le Tafsir (exégèse du Coran). Nous avons voyagé ensemble à maintes reprises, et dans toutes ces situations, il a toujours été un imam exemplaire, un père bienveillant, un éducateur influent, un conseiller sincère, un compagnon doux et proche. On n’avait ni à forcer la relation avec lui, ni à craindre sa colère. On lui faisait pleinement confiance en notre absence, et on l’estimait profondément en sa présence. Je l’ai connu pour ses nobles qualités, ses actions généreuses, son bon caractère, sa douceur et son humilité. Il attirait naturellement les cœurs et inspirait confiance et amour. » dixit Cheikh Mahfoudh.
Il ajoute que « Ould Veten était d’une humilité remarquable malgré sa grandeur. Dans nos travaux administratifs, le plus jeune d’entre nous pouvait le diriger, lui assigner des tâches ou décider à sa place, sans craindre de refus, d’excuse ou de fierté de sa part. »
« Il était extrêmement prudent dans les fatwas, craignant de parler de Dieu sans science. Il ne se laissait ni séduire par la célébrité, ni emporter par les projecteurs. Il disait ce qu’il pensait, avec courtoisie, sagesse et bienveillance. » conclut-il.
D’autre part, Dr Aly Cissé, imam de l’une des mosquées de la Socogim Plage, a présenté ses condoléances à tous les Mauritaniens et à tous les prédicateurs engagés, où qu’ils se trouvent, pour la perte de ce savant qui nous est très cher. Il a souligné :« Notre Cheikh était un éminent savant, un jurisconsulte, un homme de lettres, un orateur, un prédicateur, un éducateur. En résumé, il était une encyclopédie marchant sur ses deux jambes. Lorsqu’il s’exprimait en arabe, on croyait que c’était sa spécialité. Lorsqu’il parlait du Coran et de son exégèse, on pensait qu’il ne connaissait que cette science. Et quand il ouvrait la page de la poésie populaire ou des récits littéraires, on l’écoutait avec une telle attention qu’on aurait cru ne jamais avoir entendu de perles semblables dans un autre domaine. Quiconque s’asseyait en sa compagnie et l’écoutait ne pouvait que l’aimer et le respecter. »
Dr Aly Cissé, qui a eu une fois l’occasion de voyager avec lui de Nouakchott à Dakar, affirme:« Jamais je n’ai fait un voyage ou une sortie où j’ai autant pris du plaisir. Chaque fois qu’il terminait une histoire ou un récit, il y ajoutait une anecdote ou un trait d’esprit qui dissipait la fatigue du voyage, au point que nous ne ressentions ni la longueur du trajet ni les difficultés de la route. »« Que Dieu le récompense pour tout le bien qu’il nous a apporté, qu’Il bénisse sa famille et leur accorde patience et consolation. Nous appartenons à Dieu et c’est à Lui que nous retournons », prie-t-il.
Abdallahi Sarr est imam de la mosquée de Elkhayr à basra (sebkha). Il souligne avoir connu cheikh Mohameden Abdrahman Ben Ahmed, surnommé Ould Fattah, en 2003, qu’il a côtoyé à l’Association Al-Mustaqbal pour la prédication, la culture et l’éducation, puis au Centre de Formation des Savants, où il enseignait le Tafsir (exégèse du Coran).
« Nous avons voyagé ensemble, partagé de nombreuses expériences, et dans toutes ces situations, il s’est toujours révélé être un imam exemplaire, un père bienveillant, un éducateur influent, un compagnon doux et proche. À chacune de nos rencontres, il plaisantait affectueusement en me disant : « Lekwar khbarhoum » (les nouvelles des frères), une expression qui me faisait sourire à chaque fois. Je me souviens aussi d’une fois à Zouérate, alors que je traduisais l’une de ses interventions, il composa un poème à mon sujet qui m’a profondément touché et marqué à jamais. » ajoute Imam Sarr.
Parlant de ses qualités, Abdallahi sarr indique « qu’il attirait naturellement les cœurs, inspirait confiance et éveillait l’amour sincère. Dieu avait placé en lui une acceptation universelle : même ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui le respectaient, et ceux qui étaient éloignés l’estimaient. »
« Nous demandons à Dieu que l’au-delà lui soit plus favorable que cette vie, et qu’Il comble de Ses bienfaits aussi bien lui que nous, jusqu’à ce que nous soyons tous comblés. Le cheikh nous a quittés, mais il reste vivant dans nos cœurs. Il nous laisse en héritage son savoir, sa sagesse et son exemple.
Message d’adieu :
Le Cheikh a vécu environ 72 ans, qu’il a entièrement consacrés à l’enseignement du bien et à la transmission du savoir. Il laisse derrière lui trois fils et quatre filles, que Dieu les protège et les bénisse.
Lors de ses derniers jours à Tunis, malgré la maladie et la fatigue, Cheikh Ould Veten ne cessait d’invoquer Dieu. Il priait dans la douleur, lisait le Coran, souriait à ceux qui l’approchaient, manifestant une sérénité étonnante face à l’échéance ultime. Quand la nouvelle de sa mort se répandit, elle ne provoqua pas seulement des pleurs ; elle suscita une vague de réflexion et d’introspection dans tout le pays. Sa prière funéraire, dirigée par Cheikh Dedew, fut marquée par une émotion rare, rassemblant une foule immense unie dans la foi et le deuil.
À la lumière du Coran, on comprend mieux la valeur d’un tel homme. Dieu dit : « Parmi Ses serviteurs, seuls les savants Le craignent véritablement » (Sourate Fatir, verset 28). Le ProphèteMohamed (psl) a également dit : « Lorsque le fils d’Adam meurt, son œuvre s’arrête sauf en trois choses : une aumône continue, un savoir utile ou un enfant pieux qui prie pour lui ».
Ould Veten laisse derrière lui un savoir vivant, des enfants pieux, des disciples éclairés et une œuvre qui continue d’éclairer bien après son départ.
Il a quitté ce monde dans le calme des justes, le sourire aux lèvres et la foi dans le cœur. Mais la lumière qu’il a allumée continue de briller dans les esprits et les cœurs de ceux qui l’ont connu.
Oui, les yeux pleurent, les cœurs sont tristes, et nous sommes, ô notre cheikh, profondément affligés par ton départ. Puisse Allah, dans Sa miséricorde infinie, l’accueillir dans les jardins de la félicité, aux côtés des prophètes, des véridiques, des martyrs et des pieux.