Nécrologie :Adieu Professeur Mody Mohamed CAMARA

Africaleadnews – (Sénégal) Ce lundi 17 mars vers 14h30, lorsque le coup de fil de mon frère et ami Mohamed Cissé a retenti, j’ai décroché sans m’imaginer qu’il allait m’annoncer ta disparition définitive de ce monde furtif par ces mots : « jangowoyle, an xaranmoxo Moodi Mahame Kamara daga ». Au début, je n’ai pas compris. Plutôt, je n’ai pas voulu comprendre tant le choc était immense et prégnant. Je suis resté quelques secondes comme électrisé, ne pouvant prononcer des paroles cohérentes.

Une fois le téléphone raccroché, une des toutes premières personnes à laquelle j’ai pensé immédiatement, c’est ton frère jumeau, ton alter ego, ton semblable, ton confident, ton compagnon de plus de 40 ans, ton conseiller, ton ami, ton homme de confiance, ton tout, Moussa Bandiougou CAMARA, un véritable duwankamane de ta disparition.

Pourtant, Moussa Bandiougou Camara, toi et moi, nous nous appelions assez régulièrement à chaque fois que l’occasion se présente. Nos dernières conversations remontent à quelques semaines seulement. D’abord, à la suite du rappel au Tout Puissant de notre regretté père, Mohamed Mody CAMARA, le debigume, le patriarche. Je t’ai appelé, pendant que vous étiez affairés à préparer le défunt.  Alors que je me préparais à te laisser un message, sans surprise, tu as décroché. Je t’ai présenté mes condoléances et celles de tout SOONINKARA. Tu m’as dit apprécier cet appel. Je t’ai répondu : « c’est normal ».

Quand j’ai informé mes nièces Laliya Mody Mohamed CAMARA et Mariam Mody Mohamed CAMARA, ma sœur Khoumba Mohamed CAMARA que je t’ai eu au téléphone, elles n’en revenaient pas car elles avaient tenté de te joindre au téléphone. Sans succès. J’ai peut-être eu plus de chance qu’elles, pensais-je. Mais au final, je crois que le hasard était doublé de l’estime réciproque entre nous.

Moussa Bandiougou, qui connait l’attachement que j’ai pour toi, a cru devoir m’informer de la mauvaise nouvelle du décès du patriarche. J’étais déjà au courant. Il était en route pour Nouakchott, puis il devait te rejoindre à Sélibaby pour t’assister en tant que son frère jumeau. J’ai chargé Moussa de te témoigner mon soutien et ma solidarité, ce qu’il fit dès son arrivée à Sélibaby. Tu lui as répondu que tu m’avais déjà eu au téléphone. Ensuite, tous les deux, Moussa et toi, vous m’avez appelé. Moussa est resté avec toi à Sélibaby plusieurs jours, et vous êtes revenus ensemble à Nouakchott. Et là encore, vous m’avez appelé, je crois que c’était notre dernière conversation. Tu ne le savais pas. Moussa ne le savait pas. Je ne le savais pas. Mais Allah le savait !

Mais, ce lundi 17 mars 2025 après ce coup de fil, curieusement, je n’ai pas osé appeler Moussa Bandiougou, avec qui pourtant j’ai des échanges téléphoniques réguliers. Comment lui demander ou lui dire que j’ai appris le décès de son frère jumeau ? Son ami de plus de quarante ans ? Son alter ego ? Pourtant la tentation était grande de faire le premier pas. L’appeler. Pour lui dire quoi ? Tu es au courant du décès de mon professeur Mody Mohamed CAMARA ? J’aurais eu l’air de quoi ? Bien sûr et forcément qu’il est au courant. Alors, j’ai décidé de prier, de prier, encore prier, toujours prier pour le repos de l’âme de mon défunt professeur bien aimé. La mosquée était ce jour aussi mon refuge tout trouvé pour la bonne cause.

Comme pétrifié, personne ne m’a entendu sur aucun réseau social, à part un message de condoléances laconique sur APS INFO. Message sans doute incohérent, submergé que j’étais par l’émotion. Personne ne m’a lu non plus. Même pas un communiqué. L’esprit était embrouillé. La peine douloureuse qui fait chavirer tout. Crée un vide. Un trou noir.

Ce lundi 17 mars 2025, vers 14h

Triste d’apprendre le décès de mon professeur Mody Mohamed CAMARA, philosophe émérite, ancien ministre de la Santé, intellectuel hors pair, sociologue, anthropologue, humaniste, bref un grand savant s’en est allé ce lundi 17 mars à Nouakchott.

Mody Mohamed CAMARA fut mon professeur de philosophie, l’année de mon baccalauréat. Il fait partie des gens qui m’ont donné le goût aux études.  Celui qui, pour moi, a démocratisé l’étude de la philosophie dans le sens où tous ceux qui, comme moi, à l’époque, considéraient cette matière comme ésotérique, inaccessible, ont fini par y prendre goût tant le pédagogue qu’il était faisait sucer au plus ignorant, la substantifique moelle de la philosophie. Aussi bizarre que cela pouvait paraître, à l’époque, nous n’avions jamais encore rencontré un philosophe soninké. Mody Mohamed CAMARA était Philosophe et Soninké. Avec Pr CAMARA, on allait en cours de philosophie comme n’importe on allait désormais à n’importe quelle autre matière. Les appréhensions d’antan se sont envolées. Merci l’artiste !

Pédagogue hors pair, professionnel de l’éducation, spécialiste des relations humaines, altruiste, au service de l’humain, Pr CAMARA était plus que tout ça. Il aimait les gens. Il rassurait le jeune élève perdu, qui n’avait pas foi en les études, qui doutait de tout. Il imposait le respect par son verbe, par ses gestes et mimiques évocateurs qui accompagnaient l’explication des notions philosophiques complexes. Il rendait la philosophie maîtrisable par et pour tous. Aujourd’hui, certains diraient « il expliquait la philosophie pour les nuls ». Et les nuls devenaient philosophes.

Sa vie durant, Pr CAMARA a toujours été à la quête du savoir malgré ses connaissances livresques pourtant incommensurables. Il était à l’affût de la moindre publication scientifique, littéraire, philosophique, historique, sociologique, etc. De Nouakchott, ou du fin fond du Guidimakha, il était au courant du dernier livre publié par tel auteur sur tel sujet. Evidemment, les publications en langue soninké étaient, surtout ces derniers temps, les plus scrutés par lui. Il les collectionnait

Pr CAMARA s’intéressait à toutes sources de savoirs, aussi bien traditionnels que modernes. Il aimait lire. Il aimait discuter. Il aimait partager son savoir. Il aimait débattre. Il aimait les confrontations intellectuelles. Il aimait convaincre sans vaincre. Il aimait faire adhérer et faire désirer ses idées. Pr Mody était lui-même l’incarnation du savoir. Il était l’incarnation de la bonté. Il était l’incarnation de la générosité.

Mon cher professeur, tu étais un pédagogue réputé, doublé d’un didacticien hors pair. Tu étais la crème de l’éducation. Tes appréciations de professeur de philosophie, tes conseils aux candidats bacheliers, que nous étions il y a près de 45 ans, résonnent encore aujourd’hui dans nos cœurs et dans nos corps. Ta méthode didactique et ta pédagogie nous ont formatés. Mon Cher professeur, combien de professeurs tu as formé ? Combien d’universitaires tu as éduqué ? Combien de ministres sont passés par tes mains ? Combien de docteurs tu as encadré ? Combien de Chercheurs tu as guidé et conseillé ? Combien d’instituteurs tu as formé ? Combien de médecins tu as encouragé ? Combien de leçons de sagesse tu as inculqué à l’humanité ?

« Peut réussir« , voilà l’expression magique. Voici l’une des meilleures appréciations que le meilleur des professeurs est capable de noter sur le bulletin d’un candidat au baccalauréat, et qui fait pousser des ailes lui permettant de voler jusqu’à atteindre des cieux inimaginables. Marquer une appréciation aussi magique est la marque de fabrique des professionnels doctes. « Peut réussir« , voici l’appréciation qui revigore le plus hésitant des candidats au baccalauréat, en situation de doute existentiel, de doute spirituel, de doute matériel, de doute professionnel, de doute social, et qui par la magie et la force de l’encouragement, se retrouve comme emporté par une sorte de force occulte le poussant à se surpasser.

Mon cher professeur, tu es un as du savoir moderne, mais peu de gens connaissent ta contribution multiforme en faveur de la langue soninké. Tu es parmi les pionniers, en France, à donner corps et âme à ta langue maternelle, le soninké. Tes remarques, toujours pertinentes, tes conseils avisés, ta disponibilité à tout moment, pendant tes heures perdues d’étudiant parisien, tes échanges avec Ousmane Moussa DIAGANA, ton ami, tout comme Moussa Bandiougou Camara, avec Birahima Diabira, les étudiants et chercheurs du CRES (Centre de recherche pour l’enseignement du Soninké, ancêtre de l’APS) de l’époque, ont donné de l’élan à la publication de premiers manuels soninkés en France.

Pr CAMARA, siégeant au quartier latin, au milieu des temples du savoir, tes fréquentations des bibliothèques dudit quartier latin t’ont valu le sobriquet de « rat de bibliothèque« . Alliant tes savoirs livresques à la nécessité de te rendre utile à ta communauté, tu auras servi et conseillé les premiers auteurs de livres soninkés que tu avais si bien lus, relus, corrigés, formatés, modifiés avec une aisance dont toi seul avais le secret.

Cher professeur, malgré tout ce savoir, tu es toujours resté modeste, humble, simple, accessible, affable, curieux, courtois, volontaire, sincère et surtout passionné par les belles lettres qui n’ont point de secret ni de mystère pour toi.

La Mauritanie perd un de ses dignes fils, SOONINKARA perd un de ses ardents défenseurs.

Adieu Xaranmoxo Mody Mohamed CAMARA, adieu mon professeur, adieu mon maître, adieu mon modèle.

Je présente mes condoléances les plus émues et les plus sincères à ta famille, à ma famille, à mes sœurs et frères, à nos filles et nièces, à notre mère, et SURTOUT à ton frère jumeau Moussa Bandiougou CAMARA, ton alter ego, ton double, ton confident, ta moitié, ton conseiller, ton ami, ton assurance-vie, ton compagnon de toujours.

Que la Terre de Mauritanie, de Nouakchott, du Guidimakha te soit légère. Que le Tout Puissant l’accueille en Son saint Paradis, amine.

Ton disciple,

Ousmane Bocar DIAGANA.

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