Par Bakari Gueye
Les Organisations de la société civile (OSC) mauritaniennes actives dans le domaine de l’environnement regroupées au sein de la Plateforme des acteurs non-étatiques ont organisé aujourd’hui, en fin de matinée à Nouakchott une conférence de presse au sujet de l’incident portant sur la fuite de gaz au niveau des installations du projet Grand Tortue Ahméyim (GTA).
L’ampleur et la nature de cette fuite annoncée par la major britannique le 19 février dernier restent floues.
Près de 3 semaines après l’incident des informations contradictoires circulent et les différents acteurs concernés ne sont pas sur la même longueur d’ondes. En effet si de côté de BP on minimise l’incident et on affirme que la situation est sous contrôle et que du côté du ministère du pétrole on affirme que la fuite a été colmaté au niveau du puis 02, au niveau des acteurs de la société civile, il n’en est rien de tout cela et les choses traînent et se déroulent dans l’opacité la plus totale.
Au cours de cette conférence de presse, les porte-paroles des différentes organisations concernés ont fait le point affirmant avoir mis en place un comité de suivi et pris le temps de commanditer une expertise scientifique avant de s’adresser à la presse et à l’opinion publique.
L’expertise scientifique en question a été fournie par l’Institut Mauritanien de Recherches Océanographiques et des Pêches (IMROP). Un documentaire diffusé au cours de la conférence de presse a permis d’édifier les participants sur la fragilité de l’écosystème de la zone d’exploitation du GTA. Il s’est en effet avéré dès le départ que cette exploitation gazière constitue bel et bien une menace sur la biodiversité marine.
De ce fait, selon l’expert de l’IMROP qui s’est exprimé dans le documentaire le ministère de l’environnement a commencé à réfléchir entre 2012 et 2019 sur un programme consistant à la mise en place d’un suivi pour collecter des informations pour se préparer en cas de pépin.
Ce programme s’est inspiré entre autres de la convention d’Abidjan et la convention de Barcelone.
Il fallait procéder à une série d’analyses pour faire un état de référence entre 2012 et 2017 et cela dans le but de pouvoir vérifier d’éventuels changements écosystémiques.
Un suivi de la diversité en haute mer avait aussi été financé par des entreprises pétrolières.
Toutes les informations sur le sujet recueillies ces dernières années sont accessibles sous forme d’Atlas et sont à la disposition des décideurs et de la Société Civile, note l’expert de l’IMROP. Un manuel de procédures a aussi été mis en place et transmis au ministère de l’environnement.
Tout ce travail entre dans le cadre d’un programme de recherche de la FAO et du projet « Biodiversité Gaz et Pétrole ».
Mais s’agissant des informations concernant la haute mer, le déficit était criant et il a fallu modifié en 2020 le texte de loi établissant les missions de l’IMROP pour reconnaître à ce dernier la compétence et la qualité d’institution de recherche chargée de tout ce qui se passe en mer.
Zones d’ombres autour de l’étude d’impact environnemental de BP/GTA
C’est ainsi qu’en 2021, l’IMROP a diligenté une étude d’évaluation d’impact environnemental indépendante concernant le projet GTA. Il s’agit d’une étude indépendante de celle de BP. L’étude a été menée en collaboration avec les norvégiens. Cette mission en haute mer a pu étudier l’environnement du GTA et voir de près ce qui s’y passe. Ainsi des découvertes scientifiques extraordinaires ont pu être faîtes selon le chef de mission qui n’est autre que notre expert de l’IMROP.
Ces découvertes ont contredit les données fournies par BP. En effet la zone en question abritait une biodiversité exceptionnelle avec notamment un récif actif de 600 m de long et 60 m de hauteur. Et il y avait une succession de monticules de récifs qui étaient vivants et non des récifs morts comme l’avait affirmé l’étude de BP. 15 à 30% de ces récifs étaient vivants côté mauritanien et côté sénégalais 50% de ces récifs étaient vivants.
L’expert de l’IMROP a noté que la publication des résultats de cette étude avait fait un tollé et au niveau de la FAO qui avait financé une note dans ce sens il avait été demandé à BP de prendre en compte ces récifs vivants dans sa gestion environnementale.
Et l’expert de l’IMROP de conclure en soulignant la nécessité pour le gouvernement de toujours prendre en compte l’avis des scientifiques dans ses décisions.
A noter que l’incident du GTA n’est pas le premier du genre qui secoue BP. En 2010 un incident similaire s’est produit dans le Golfe du Mexique et BP avait déboursé 20 milliards de dollars versés au trésor américain.
Pour l’incident du GTA on s’attend aussi légitimement à un dédommagement.
Suite à l’incident du Golfe du Mexique la commission d’enquête mise sur pied à cet effet avait fait des recommandations à BP afin de parer à ce type d’incidents. Mais, selon les ONG de la société civile mauritanienne BP n’a pas tenu compte de ces recommandations. Ils l’accusent de négligence et de rétention de l’information.
Elles demandent au gouvernement mauritanien de prendre ses responsabilités et de diligenter un audit indépendant pour évaluer les impacts environnementaux de cette fuite de gaz au niveau du GTA (Voir communiqué ci-contre) :
« Nous, organisations de la société civile actives dans la préservation de la biodiversité marine et côtière en Mauritanie, signataires du présent communiqué, avons décidé d’organiser cette conférence de presse pour exprimer et justifier notre vive inquiétude par rapport à l’incident de fuite signalé au niveau de l’un des puits du projet Grand Tortue Ahmeyim.
Nous déplorons la relative discrétion de la compagnie BP dans les premiers temps de l’incident. La communication minimale de l’entreprise a suscité un grand nombre d’inquiétudes qui ont malheureusement été confirméesquandnousavonsapprisqu’ilavaitfallu10jourspourdisposer des moyens d’interventions sur site. Aujourd’hui, encore 13 jours plus tard, ces moyens n’ont toujours pas pu être mis en œuvre pour colmater le puits.
Nous ne sous-estimons pas la difficulté d’intervention aux grandes profondeurs où se situent l’accident, mais nous regrettons vivement que la compagnie BP n’ait pas fait montre d’une meilleure communication et d’une plus grande transparence vis-à-vis des parties prenantes locales et même internationales.
L’histoire du développement des hydrocarbures offshore dans la sous- région a permis aux pays concernés et notamment la Mauritanie de disposer de l’appui d’une communauté scientifique qualifiée, pour guider le déploiement de la lutte la plus adéquate avec le moins d’impact, sachant que les compagnies pétrolières ont souvent recours aux dispersants pour éviter que la pollution atteigne le littoral et qu’elles soient plus visibles des observateurs, des populations résidentes et des médias.
Nous constatons ainsi, avec grande consternation, que BP n’a pas pris en considération les recommandations de la Commission d’Enquête sur Deepwater Horizon au sujet des bouchons de puits (capping stacks) et des moyensd’interventionimmédiatsquidevraientêtredisponiblessurplace, pour éviter qu’un puits ne devienne incontrôlable-surtout en présence de condensats et de pétrole brut.
Et c’est le lieu pour nous, de formuler les recommandations suivantes pour éviter que de tels incidents n’arrivent et pour travailler ensemble dans l’intérêt général :
Par rapport à cet incident et conformément aux cadres légaux en vigueur en Mauritanie et auxquels la compagnie BP est soumise:
Il serait absolument nécessaire
o de diligenter un audit indépendant pour évaluer les impacts environnementaux réels de cette fuite (recommandations du Panel Pétrole 2009 en de pareilles circonstances ;
o de mettre en place une procédure de reporting quotidien sur l’évolution de l’incident (cf. Plan POLMAR et politique sectorielle au niveau des hydrocarbures) ;
o de partager toutes les images satellites de la fuite disponibles, sur lesquelles la société civile voudrait faire ses propres analyses pour évaluer la quantité de gaz qui sTest échappée du puit(cf.l’InitiativedeTransparencedesIndustriesExtractives);
o d’informer lTopinion sur les actions déployées pour contenir la fuite et pour minimiser les risques pour la faune et la flore marine.
Pour le moyen et le long terme (et ce conformément au Guide desMeilleures Pratiques auxquelles se réfère la compagnie bp dans sesétudes d’impact ) :
o Mettre en place un Conseil Consultatif des Citoyens constitué des OSC actives sur le littoral et des représentants des communautés côtières pour cogérer, avec la compagnie BP et les autorités, les situations de crises ;
o Développer et mettre en œuvre un plan de surveillance pour prévenir tout impact du GTA sur ces écosystèmes sensibles ;
o Ratifier le protocole de la convention dTAbidjan relatif aux installations pétrolières et gazières offshore ;
o Organiser des cycles de formation pour la société civile afin de renforcer leurs capacités et leurs connaissances ;
o Valoriser et divulguer les connaissances scientifiques qui doivent absolument être un outil d’aide à la décision pour toutes les parties prenantes (Gouvernements – Société Civile – Compagnies pétrolières) ;
o Réaliser des études de recherche scientifique vers la zone sud qui ne dispose pas de data (données) pour mieux la connaître (sa vulnérabilité, sa richesse. etc) et mieux la protéger.
O Améliorer la communication des parties prenantes et respecter le droit à l’information des citoyens – sans oublier les partenaires au développement des pays de la sous-région.
o Mettre en place un programme de réparation et de compensation pour les dommages causés à l’environnement.
Fait à Nouakchott, le 12 mars 2025
Les signataires