Editorial : Election de Diomaye à la tête du Sénégal : Décryptage d’une victoire inédite

Une fois n’est pas coutume, le Sénégal vient d’administrer une belle leçon de démocratie à l’Afrique un continent gangréné par les régimes politiques banania et les putschs militaires.

Et pourtant le pays revient de loin et a frôlé la catastrophe au cours du second mandat du président sortant Macky Sall dont les velléités de rester au pouvoir malgré les verrous constitutionnels ont été stoppées net par une opposition coriace dirigée par Ousmane Sonko, leader du parti PASTEF, dissous dans la foulée, et dont la coalition pilotée par son principal lieutenant qui vient de rafler la mise et d’être élu avec brio dès le premier tour.

Comment est-ce-possible pourrait-on s’interroger vu le contexte politique général très défavorable avec notamment la pression du pouvoir de Mr Sall qui en a fait voir de toutes les couleurs à Sonko et Cie ?

En effet du feuilleton Adji Sarr à l’affaire Mambaye Niang, les 2 leaders du PASTEF ont effectués plusieurs séjours à la fameuse prison de Rebeus et il aura fallut attendre plusieurs jours après le démarrage de la campagne présidentielle pour que le président fraîchement élu et son mentor retrouvent enfin la liberté.

Mais toutes ces épreuves n’ont fait que renforcer leur popularité qui allait crescendo et, Bassirou Diomaye Faye qui se présente comme le candidat antisystème et le candidat de la jeunesse, a su cristalliser les revendications des sénégalais dont la désaffection de l’ancien régime n’était plus qu’un secret de polichinelle.

En effet, la grande erreur de Macky Sall, celle que les sénégalais ne lui pardonneront jamais et celle qui a précipité la chute de son dauphin, c’est d’avoir secoué l’édifice de l’Etat-nation que ses prédécesseurs se sont évertués à bâtir en apportant chacun sa pierre.

Le virage ethniciste consacré par le slogan « Nédo ko bandoum »(une sorte d’exclusion de l’autre) devenu un refrain entonné à tout va et le favoritisme notoire qui a profité aux Halpoulars a créé un véritable malaise au sein de la société sénégalaise.

Et il se trouve qu’au Sénégal, les penchants particularistes n’ont pas de place, ce qui fait que malgré l’hégémonie de la langue Ouolof, les sénégalais croient au principe d’égalité de tous les citoyens et la preuve c’est l’élection de Diomaye Faye qui est issu d’une minorité.

A noter que ce changement majeur au Sénégal n’aurait pas été possible sans l’engagement et le professionnalisme de la presse sénégalaise qui a bien joué son rôle de 4ème pouvoir.

Ainsi, grâce à la mobilisation des équipes rédactionnelles au niveau des chaînes de radios et de télévision, la compilation des PV et leur traitement au niveau des régies a permis de diffuser les résultats en en temps record et couper l’herbe sous les pieds de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) dont les premiers résultats provisoires sont prévus vendredi soit près d’une semaine après le scrutin.

Autre donnée non moins intéressante, c’est la vision négativiste du PASTEF de la relation du Sénégal avec la France. On sait que Sonko est dépeint comme anti-Français même s’il s’en défend.

Au cours des dernières années les manifestants à Dakar considérés comme des pro-Sonko s’en étaient pris régulièrement aux intérêts français avec les mises à sac et autres pillages des supermarchés AUCHAN et des stations-services TOTAL, entre autres.

Le Sénégal demeure jusque-là l’un des derniers bastions de la présence française en Afrique qui s’est réduite comme une peau de chagrin.

Avec le nouveau président, la France parviendra-t-elle à sauver les meubles ? Rien n’est moins sûr.

Autre question importante qu’en sera-t-il de la relation des nouvelles autorités sénégalaises avec la Mauritanie qui demeure le voisin le plus proche et avec lequel le Sénégal partage le plus d’intérêts ?

En tout cas Ghazouani est l’un des premiers chefs d’Etat à avoir félicité le nouveau président et c’est bon signe.

Reste à savoir si les préjugés du PASTEF contre la Mauritanie tiennent toujours la route ?

L’on se rappelle en effet qu’en 2019, en pleine campagne présidentielle, Sonko, alors candidat, avait adressé des propos peu diplomatiques à l’égard de la Mauritanie.

Il était allé jusqu’à remettre en cause les accords et autres contrats avec la Mauritanie sur la pêche, l’agriculture, l’élevage et le gaz.

Sur la redéfinition des relations avec la Mauritanie, Sonko avait déclaré dans un meeting à Dagana, je cite : «Celui qui n’a pas de complexe vis-à-vis des Français et des Américains, la Mauritanie ne nous posera pas de problèmes».

Au cours de ce même meeting il avait remis en cause l’accord gazier de Grand-Tortue Ahméyim estimant que le partage du gisement entre les 2 pays est une spoliation.

Sonko avait aussi promis dans la foulée de déterrer l’épineux dossier des vallées fossiles, un vieux projet de Wade qui consiste à détourner les eaux du fleuve Sénégal pour développer l’agriculture et l’élevage au Sénégal, un projet auquel la Mauritanie est fermement opposée.

Un tel projet ravive les douloureux souvenirs des événements de 1989 entre les deux pays dont les conséquences se font encore sentir.

Mais une fois que le PASTEF sera confronté aux dures réalités du pouvoir et à la gestion des relations avec les Etats, ces relents nationalistes devraient être relégués aux calendes grecques.

En effet, entre la Mauritanie et le Sénégal les intérêts sont partagés et la cohabitation est un impératif catégorique.

Bakari Gueye

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