Le Centre de recherche et d’action sur les droits économiques, sociaux et culturels (CRADESC) basé à Dakar, en partenariat avec le Comité de Solidarité avec les victimes des violations des droits de l’homme en Mauritanie (SVDH) et la Foundation For a Just Society a organisé hier à Nouakchott un atelier de restitution des résultats de l’étude sur les droits économiques, sociaux et culturels des travailleurs domestiques en Mauritanie.
Ce projet qui concerne 9 pays de l’Afrique de l’Ouest a été lancé le 1er Mai 2020 à Conakry. Il a pour objectif de documenter les violations des droits des travailleurs dans la région, afin de favoriser leur protection et leur épanouissement économique.
Cette rencontre qui intervient au lendemain du conclave du CRADESC avec les entités étatiques et la Société civile, vise principalement à porter à la connaissance des journalistes la situation des travailleuses domestiques et à les sensibiliser sur l’effectivité des droits et libertés qui leurs sont reconnus.
De façon spécifique il s’agit entre autres de partager les résultats du rapport pays et favoriser sa diffusion à travers les medias et d’inciter à l’action pour l’épanouissement socio-économique et professionnel des travailleuses domestiques.
Entre 2021 et 2022, le CRADESC met en œuvre plusieurs projets couvrant ces divers axes d’intervention et ayant impacté 5241 bénéficiaires à travers 112 activités phares au niveau national et11 évènements au niveau sous régional.
En 2021, le projet sur les droits des travailleurs domestiques a touché 2572 personnes dans 5 pays (Cote d’ivoire, Burkina Faso, Guinée, Mali, Sénégal). En 2022, le projet est mis en échelle en élargissant la zone d’intervention à quatre autres pays (Bénin, Togo, Gambie, Mauritanie).
Présentation du projet
Dans sa présentation du projet, Bassirou N’Diaye, chargé de recherche au centre a d’emblée présenté le centre de recherche et d’action sur les droits économiques, sociaux et culturels (CRADESC) qui est un think thank et un cadre de plaidoyer en Afrique de l’Oust francophone et au sahel agissant exclusivement pour la prise en compte des droits économiques, sociaux et culturels des communautés. Le projet a pour objectifs de réduire la vulnérabilité des travailleuses domestiques à travers une documentation de la réalisation effective de leurs droits économiques, sociaux et culturels; Renforcer la mobilisation des parties prenantes (OSC, Syndicats, acteurs étatiques, etc.) autour des réformes des politiques publiques, des législations du travail et des stratégies nationales et régionales de protection des droits économiques, sociaux et culturels des travailleuses domestiques; Faciliter la structuration des cadres de concertation ou synergies nationales pour faciliter le développement de plans d’actions nationaux conjoints afin de faire avancer collectivement les droits des travailleuses domestiques dans les pays d’intervention; Faire l’évaluation de l’efficacité des appuis dont elles bénéficient pour mieux informer le plaidoyer visant leur protection et leur émancipation économique; Renforcer les capacités des organisations d’appui pour une meilleure efficacité de leurs interventions au profit des travailleuses domestiques; Engager un plaidoyer pour la prise en compte du travail domestique dans l’agenda social de l’Union Africaine et ratification de la Convention n° 189 des Nations Unies sur les travailleuses et travailleurs domestiques.
Contexte mauritanien
La promotion du travail décent est une priorité affichée par les pouvoirs publics.
C’est ainsi qu’au niveau international, la Mauritanie a ratifié, la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination à l’Egard des Femmes (CEDEF), la Convention relative aux Droits de l’Enfant (CDE) et le Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels (PIDESC).
Au niveau africain, l’Etat a reconnu la Charte Africaine des
Droits de l’Homme et des Peuples(CADHP)et son protocole de
Maputo, la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant (CADBE), etc.
Au niveau national, outre les dispositions pertinentes de la Constitution sur le travail, le pays dispose différents textes qui reconnaissent et protègent les droits et libertés des enfants et des femmes travailleuses et leurs garantissent les conditions d’un travail décent. Il y a d’abord le code du travail, la norme générale de référence, instituée par la Loi n° 2004-017 du 6 juin 2004 ainsi que d’autres textes connexes.
Mais toujours est-il que les défis persistent surtout en ce qui concerne le secteur informel notamment le secteur du travail domestique qui emploie un grand nombre de jeunes femmes/filles et des enfants. Précisément, selon les dernières estimations de l’OIT, le pays comptait 43278 de travailleurs domestiques en 2017 dont 29 657 femmes, soit 68.52% de l’effectif total.
Dans le but de leur garantir la jouissance de droits spécifiques, adaptés à leur situation de travailleuses domestiques, l’Etat en plus de l’arsenal juridique précité a adopté l’Arrêté n° 2011-1797 du 18 août 2011 déterminant les conditions générales d’emploi domestique. Néanmoins, la situation de ces dernières reste préoccupante.
Les travailleurs du travail domestique continuent de subir les difficultés liées aux conditions de travail, à la faible rémunération, à la surcharge de travail en termes de tâches, des longues heures de travail et de traitement social dégradant.
En réalité, elles encourent quotidiennement des risques d’exploitation, de discrimination, de violences et de harcèlement sexuels et autres violences physiques et morales.
C’est fort de ce constat que le Centre de Recherche et d’Action sur les Droits Économiques Sociaux et Culturel (CRADESC), avec l’appui financier de la Fondation pour une Société Juste(FJS), a mis en œuvre le projet d’appui stratégique aux travailleuses domestiques (PASTDOM) dans neuf (9) pays de la sous-région ouest africaine dont la Mauritanie.
Dans le cadre des activités du projet, le CRADESC, en collaboration avec les partenaires locaux, organise ce second atelier de partage et de validation de la recherche réalisée en Mauritanie dans le cadre du PASTDOM.
Résultats de l’étude
Globalement 486 travailleuses domestiques sont interrogées en plus des différentes parties prenantes du secteur (acteurs institutionnels, des représentants syndicaux, de la société civile, etc.).
L’étude a révélé de graves manquements. Ainsi 96.91% des travailleuses domestiques n’ont pas de contrats écrits alors qu’elles doivent en disposer lorsque certaines conditions sont réunies, et notamment lorsque le contrat conclu dure plus de trois mois ou qu’il nécessite l’installation de l’employée hors de sa résidence habituelle ; absence d’immatriculation à la sécurité sociale (92.86% n’en bénéficient pas et ce en violation de législation nationale ; Durant l’exécution du contrat, les travailleuses domestiques sont exposées à des conditions de vie et de travail difficiles au sein du domicile de l’employeur : soumission à des longues heures de travail, absence de congés, manque d’hygiène et de sécurité du lieu de travail, traitements dégradants. Malgré la surcharge de travail, le salaire reçu par les employeurs est très faible.
L’étude a démontré que plus des 3/5 des travailleuses domestiques perçoivent une somme modique, allant de 623 MRU à 3307.56 MRU pour la majorité (60.91%).
Ce qui est même très en deçà du SMIG horaire estimé à 25,962 MRU, et avoisinant 4500 MRU (80.000 FCFA) le mois.
Il y a aussi l’exposition aux violences de toutes sortes (verbales, physiques, psychologiques, sexuelles…). L’enquête a démontré que plusieurs travailleuses domestiques interrogées (38.55%) ont une fois subi des actes de violences durant l’exercice de leur travail. Paradoxalement, on note un faible recours aux instances judiciaires en cas de violation des droits des travailleuses domestiques. Seules 12.05%portent plainte devant la police et 1.20% bénéficient des services d’un conseil juridique.
La plupart des victimes préfèrent, en effet, le plus souvent, se tourner vers les parents (57.83%des travailleuses domestiques interrogées) ou vers des amis et confidentes (20.48%),
Les règles qui gouvernent la fin du contrat sont systématiquement violées par les employeurs. La rupture du contrat se fait très souvent de manière abusive et sans préavis. Le licenciement est quasi systématique pour les femmes en état de grossesse. En effet, 32.17% des travailleuses domestiques ont déclaré avoir été licenciées pour cause de grossesse. Globalement, 33.33%des travailleuses domestiques concernées ne perçoivent aucune indemnité en cas de licenciement.
Sur la question du travail des enfants, l’enquête révèle que17.9% des travailleuses domestiques sont des mineures. Or le travail domestique des enfants est considéré comme dangereux et, en ce sens, interdit conformément aux dispositions pertinentes de l’Arrêté de janvier 2022 fixant la liste des travaux dangereux interdits aux enfants. Concernant le droit des enfants à un séjour gratuit et à l’éducation de base obligatoire, tel que garanti par le législateur, la situation est moins reluisante. En effet 36.01% des travailleuses domestiques, jeunes comme adultes, n’ont jamais été à l’école.
Les résultats de cette étude invoquent ainsi l’urgence de mener des campagnes de sensibilisation de masse, d’impulser des actions en faveur d’une réforme juridique pour le secteur, d’appuyer le plaidoyer pour la protection et l’émancipation économique des travailleuses domestiques de la Mauritanie.
Pour Dr Fatima Diallo directrice exécutive du Centre de recherche et d’action sur les droits économiques, sociaux et culturels (CRADESC),vice-présidente et membre du Comité des Nations Unies pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, l’impact du projet est palpable dans les différents pays. Le CRADESC a ainsi apporté son appui à la Gambie dans sa révision du Code du travail en juillet 2023.
Mme Diallo a aussi souligné que selon la législation mauritanienne les inspecteurs du travail sont habilités à effectuer des visites inopinées dans les domiciles des particuliers même si les inspecteurs exigent toujours une autorisation du Procureur, ce qui n’est pas obligatoire.
Elle a souhaité la ratification de la C189 qui est plus progressive que toutes les autres lois en vigueur.
La ratification de cette Convention n°189 de l’OIT sur les travailleuses et les travailleurs domestiques, dont le processus a été déjà entamé en 2021 en Mauritanie permettra l’élaboration d’une analyse de conformité entre le dit texte et la législation nationale.
Bakari Gueye