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Chronique II: Les Je Nouakchott…

Je suis resté sans rien. Un âne. Un seul âne, qui nous avait été légué, à mes sœurs et à moi, par notre défunt père. Comme c’était arrivé un jour lointain pour un apprenti poète qui avait arraché un sourire à celle-là, Mint el Bar, en lui racontant l’histoire de son âne. Il avait gagné l’estime de cet autre poète, le maître, qui avait accepté de lui enseigner son art contre un chameau. Mais c’est une histoire bien ancienne. Le désert abrite-t-il encore l’une de ces égéries ? Et encore des maîtres ? Leur poésie, je n’en ai attrapé, quand j’ai réussi à l’attraper, que quelques phonèmes désarticulés, des hémistiches exsangues, des vers boiteux. Mes sœurs m’ont fait cadeau de l’âne, mais mon âne à moi n’a pas servi de prétexte pour que je puisse jouer dans la cour des grands. Puisque de cour, il n’y en a plus guère, et de grands encore moins.
J’ai enterré la dernière malle pleine de livres sous le grand acacia que nous disions centenaire. Sur le dos de l’âne, j’ai transporté ma femme et nos deux petits garçons, jusqu’à Ouad Naga. Je suis resté deux jours dans cette bourgade, espérant vendre l’âne à un prix qui me permettrait de boucler les frais de mon voyage vers Nouakchott et assurerait notre nourriture pour mes premiers pas dans cette ville. A la veille du troisième jour, j’ai pu me débarrasser de l’âne, et j’ai continué la route vers la grande métropole.
Je connaissais très bien Nouakchott, où j’avais séjourné à plusieurs reprises, auparavant, pour des besoins différents, à chaque fois. La dernière fois, c’était pour me procurer un terrain dans le quartier de Toujounine. C’était une acquisition à laquelle je n’avais jamais songé auparavant, malgré les conseils insistants de mes cousins. Beyane, me disaient d’aucuns, vends donc une partie de ton cheptel et achète un terrain dans cette ville naissante.
Après la mort de Hayane, mon père, dont la maladie m’avait amené à Nouakchott pour que je puisse m’occuper de ses soins, j’ai compris qu’il fallait, non seulement acheter un terrain, mais y bâtir un gîte. Chose que j’ai faite cette année, où il a plu des cordes dans nos contrées. C’est alors que j’ai vendu quelques têtes de mon cheptel et investi le produit de cette vente dans une maison dans ce quartier excentré du cœur de la ville. Je l’ai bien refermée après sa finition et j’ai confié les clés à un commerçant à qui j’ai loué une pièce donnant sur la rue, pour y faire boutique.
J’avais quelques connaissances en ville. J’avais les amis qui m’y avaient précédé. Certains font du commerce, d’autres travaillent dans les services : ils sont couturiers, coiffeurs, chauffeurs, imams de mosquées. D’autres voient plus loin et intègrent l’école publique. Beaucoup d’entre eux refusent de s’occuper de quoi que ce soit. Ils passent leur temps à faire la rotation entre les familles des premiers. Ils déjeunent ici. Ils dînent là-bas. Et repartissent leurs nuits de sommeil tantôt chez celui-ci, tantôt chez celui-là.
Quant à moi, j’avais mon propre projet. Il n’était pas question de me diluer dans la ville et d’y perdre mon nom, tout bêtement. J’avais, disons, un nom à restaurer, en ville. Il fallait bien qu’elle prenne un peu de moi, la ville ; et que je prenne peu d’elle pour qu’on arrive à s’entendre elle et moi, et que je puisse reconquérir mon nom. Le nom de ma famille, rendu célèbre, dans le désert, grâce au rayonnement de notre mahdara.
Après le décès de mon père, la sécheresse a tout décimé. Elle nous a tout pris. Même nos disciples se sont éparpillés et ont rejoint les leurs, en quête d’un pied-à-terre de survie, quelque part, n’importe où, en cette période de redoutable disette.
J’ai gagné la ville pour recoller les morceaux d’un nom, dont ne m’est parvenu qu’un fragment de quelque chose, avachi et précaire. Il faut dire qu’il n’y avait sans doute pas assez de possibilités, en ville, pour moi et pour le nom que je porte. Je devais poursuivre le chemin de mes aïeux, mais l’accommoder des contraintes urbaines.


A. Alamana

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