La survivance ou résurgence des traditions, coutumes et pratiques parfois abjectes héritées des sociétés traditionnelles pour ne pas dire directement primitives Africaines, qui suscitent débat et polémique dans nombre de pays du continent ; en l’occurrence l’esclavage et ses nombreuses manifestations, sont révélateurs de la faiblesse de nos États et des institutions.
Ils ont tous ou presque opté pour la démocratie comme système politique et ratifié une panoplie de conventions dans le cadre des organisations régionales, continentales et internationales, en plus de leurs législations nationales relatives au droit humain qui condamnent voire criminalisent l’esclavage.
Cependant, ces États se sont contentés de copier seulement, les dimensions cosmétiques de la démocratie : les institutions (Assemblée nationale, Sénat, Médiateur de la république, Cours des Comptes, Conseil Économique, Social et Environnemental, Autorité de régulation de la presse, le Conseil Constitutionnel, la Commission nationale chargée des élections) etc.
Ainsi, l’on a négligé l’acteur principal et le pilier de tout processus démocratique durable : le citoyen.
Ce dernier est laissé en rade expressément comparativement au niveau de modernité des institutions conçues dit-on pour le servir. Il n’en est rien !
Tout est fait pour maintenir le citoyen dans une espèce d’ignorance et de crainte perpétuelle face à l’État. Même si par ailleurs, l’État affirme sa détermination au respect du droit à l’information. Or, ce droit suppose une éducation citoyenne assurée par l’État permettant à chacun de comprendre et de mesurer la pertinence et les dessous des politiques publiques.
Fort d’un tel background, le citoyen est comme accompli, mature et prompt à participer convenablement au jeu démocratique.
Les avertissements mal accueillis
Un homme politique français avait fait une prémonition, qu’il avait résumée en ces termes : » la démocratie est un luxe pour les Africains « .
Ces propos, en son temps étaient perçus comme une insulte à tout le Continent, et avaient versé beaucoup d’encre et de salive dans les milieux politiques, intellectuels et même académiques ; exactement comme, le fameux discours de Dakar, de Nicolas Sarkozy : « l’homme Africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » ».
L’auteur de cette réflexion doutant de la maturité de l’Afrique à faire bon usage de la démocratie, qui n’est plus de ce monde, Jacques Chirac, avait à l’époque essuyé injures et propos outrageux de toutes sortes, venus de tout le continent.
Près de trente ans après, l’histoire n’a-t-elle pas donné raison à l’autre?
La démocratie au forceps, mal introduite, mal copiée, maladroitement greffée n’aura enfanté que prédation de biens publics, des institutions et leur tripatouillage, tribalisme, effondrement des économies, des systèmes éducatifs et partant des acquis des sociétés bâties sur des valeurs morales et spirituelles, peu tournées vers l’individualisme et le matérialisme.
Cette démocratie des institutions trop sophistiquée, nettement en avance sur les peuples, par ce que mal introduite, mal assimilée et mal expliquée n’a fait qu’exacerber les tensions familiales, tribales et communautaires.
Elle n’aura été qu’une véritable arnaque et une reconfiguration presque identique de la société traditionnelle Africaine ; en s’éloignant de l’un de ses principes sacro-saint : un homme, une voix.
Enchantement naïf de l’Aristocratie Africaine
La démocratie comme modèle de gouvernance avait tant émerveillé, enflammé et emballé les peuples Africains.
Les dignitaires de la société traditionnelle la percevaient comme une aubaine pour repositionner leurs « rejetons » avec le haro lancé contre le ceinturon, les bottes, le béret et le treillis.
Ils avaient vu juste. Mais seulement, la démocratie n’est pas qu’un changement à la tête de l’Etat : c’est un processus, un projet qui se meut dans une vision globale et cohérente ayant pour socle la dignité de la personne humaine ainsi que la prise en compte de son opinion et de sa liberté.
Ainsi, « l’Aristocratie conservatrice traditionnelle » ne pouvait imaginer, par effet domino l’élargissement de la contestation de la ville vers le village avec la remise en cause, cette fois-ci des fondements du temporel et du spirituel par les vents de liberté et d’émancipation.
Dans certains États, la notabilité à travers ses fils et cadres étaient aux anges, impatiente de voire les militaires quitter le pouvoir : en effet, ils étaient programmés pour être les dignes héritiers. Cet opportunisme des « élites bien nées » était une vision tronquée de la démocratie.
La démocratie, si elle est bien appliquée, anoblit tout le monde, redistribue les chances mais surtout prépare chacun à raisonner, à forger sa personnalité par la critique, loin du conformisme de la société traditionnelle.
Ainsi, après les remous et instabilités qui ont emporté les régimes autocratiques et dictatoriaux des années 90, les structures de la société traditionnelle et féodale, jusque-là épargnées ont commencé à céder par contagion. L’ordre traditionnel n’a pas été prévoyant et résilient face au serpent rampant, qui attaque avant d’avertir mais ces cris de semonces ont été ignorés.
A contrario, les despotes avaient prévu des plans B, par anticipation en optant pour une supercherie de démocratie. De la manipulation pure et simple, une stratégie bien ourdie pour calmer et contenir la ferveur des foules.
Entre certitude et suffisance, le pouvoir du village de ma mère n’a rien vu venir.
Il s’est contenté de sa légitimité historique et désuète ayant pour fondement la naissance omnipotente et omnisciente, et d’un pouvoir qui s’arroge des prérogatives divines, se glorifiant de ses croyances mystiques, de ses fétiches et amulettes qui jadis avaient eu raisons des envahisseurs. Mais ces munitions de guerre au passé respectable sont dépassées.
Des clichés sociaux et considérations en contradiction évidente avec le projet d’État-nation calqué sur le modèle du Jacobinisme, choisi par la plupart de nos dirigeants au lendemain des indépendances.
La démocratie reproductive de la société traditionnelle Africaine à déçu d’abord les groupes et catégories sociales stigmatisés, placées au bas de l’échelle sociale.
Ces gens-là fondaient beaucoup d’espoir sur ce nouveau mode de gouvernance qui, dans son sens strict valorise, priorise les compétences en créant une nouvelle société dont le statut n’est pas ramassé ou légué ; mais au bout de l’effort.
Mais hélas ! La démocratie tronquée, travestie, piégée mille fois et mise à mal par les pesanteurs sociales et familiales n’a fait que renforcer, dans la plupart des cas l’emprise des « Grandes Familles « , en consolidant leur hégémonie.Si bien que dans certains pays au sud du Sahara, les fonctions politiques prestigieuses semblent inscrites dans l’ordre de l’hérédité: président de la république, ministres, député etc.Une frustration et un désenchantement de plus pour les plus déshérités à qui ont fait un procès d’intention, par ce que jugés sous le prisme réducteur et parfois stigmatisant de ce qu’auraient été leurs parents.
Ainsi, avant même leur scolarisation, les enfants vont à l’école de la République ou privée avec des inégalités de naissance et de départ crées par la société, lesquelles seront plus tard déterminantes dans leur trajectoire. Ces éléments discriminants et discriminatoires sont encore plus en vue que les diplômes et les qualifications laborieusement acquis.
Ce serait trop prétentieux que de vouloir faire le bilan de plus de trois décennies d’apprentissage démocratique en Afrique.
D’autant plus qu’il s’agit d’un continent composé 54 États, avec des singularités, des personnalités et des réalités aussi différentes que variées.
Mais une chose est sûre, la démocratie a piégé tout un contient. Seuls les militaires ceux qui l’ont parachutée, certes malgré eux, ont su tirer non sans patience leur épingle du jeu.
En effet, l’expérience périlleuse de la démocratie a été une vallée de larmes, un génocide, un retour progressif et nostalgique des pouvoirs militaires et autocratiques, considérés comme des remparts face au péril sécuritaire et djihadiste: un retour triomphal face à l’échec des civils.
Ailleurs, la force de la démocratie se mesure au poids, la teneur, la durabilité et la force des institutions : des institutions fortes a-t-on l’habitude de dire.
En Afrique, on assiste à un anachronisme sans précédent, marqué par le retour d’hommes de poignes, hommes providentiels, auréolés de tous les superlatifs, dont la force et le pouvoir reposent plus sur la crainte que sur la légitimité.
Un pouvoir trop fort au point d’inhiber, de réduire au silence, toutes les institutions de la république y compris les voix dissonantes.
L’équilibre de la société traditionnelle a été rompu par la contestation conséquence de son manque d’anticipation, de son entêtement et son refus de s’adapter aux nouvelles exigences du temps.
La démocratie est-t-elle compatible avec les réalités Africaines ? Pas sûr !
D’autant plus qu’elle doit s’adapter à d’autres concurrents : la gérontocratie, le patriarcat sur fond de spiritualité animiste, islamique et chrétienne qui composent difficilement avec le Cartésianisme et la rationalité propre à la démocratie.
Une meilleure coordination ou plus exactement l’articulation des réalités et expériences locales Africaines avec la démocratie aurait pu d’éviter le fiasco.
Mais tout s’est passé dans l’empressement et la précipitation dans une volonté de rouler le peuple dans la farine.
Du coup, on assiste à une démocratie de façade, séduisante vue de l’extérieur mais monstrueuse à l’intérieur. C’est une « vraie contrefaçon » comme une œuvre d’art, un chef-d’œuvre imité d’une main de maitre mais qui trahit l’esprit et la philosophie de l’original.
Le pouvoir Africain est par essence celui des anciens et de familles sur la base de critères immuables et discriminatoires ; seuls les plus âgés et certaines familles en sont dépositaires et peuvent y prétendre.
C’est un pouvoir héréditaire dont le mandat est extensible à l’infini .
Il ne connait pas l’alternance. C’est seulement en cas de décès qu’on peut effectivement remplacer le chef.
Par ailleurs, le pouvoir Africain est celui de la juxtaposition, la société et ses différentes stratifications sociales obéissent sans réserve au roi : l’opposition n’est pas envisagée ni tolérée : un seul chef.
Tel est la nature du pouvoir Africain qui n’admet pas la contradiction et encore moins la critique. Ainsi, son accommodation avec la démocratie exige une alchimie ingénieuse et un changement de paradigme. Or, l’Autorité n’est pas prête à lâcher du lest. Elle est pour la démocratie tant que ses intérêts hérités ne sont pas menacés.
Elle doit s’adapter au risque de disparaître. Le libéralisme, la mondialisation et les valeurs de liberté et d’égalité s’universalisent chaque jour. La marche du monde est orientée vers le multilatéralisme, le pluralisme, la diversité, la contradiction opposés à l’alignement et au conformisme.
Seyré SIDIBE, journaliste