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Interview/Sidi Boudide, Secrétaire général du SNES/ Président de la coalition mauritanienne des organisations pour l’éducation (COMEDUC)

Mr Sidi Ould Boudide, est un vieux routier de l’enseignement qui suit de près l’évolution du système éducatif mauritanien en sa qualité de professeur et de syndicaliste. Mr Sidi est secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement secondaire (SNES), l’un des syndicats les plus sérieux. Il est aussi président de la coalition mauritanienne des organisations pour l’éducation (COMEDUC)

 1- Comment jugez-vous l’état du secteur de l’éducation depuis l’arrivée du nouveau régime qui a promis de refondre l’école mauritanienne et d’instaurer une école républicaine ?

Jusqu’à présent je n’ai rien vu de concret sur le terrain, sauf des promesses à répétition depuis le programme du président de la République aux programmes de ses deux premiers ministres.

Il n’y a pas eu d’amélioration du tout!

– Délabrement et insuffisance des infrastructures: vitres et planches des fenêtres et des portes des salles de classes cassées et souvent inexistantes, tableaux noirs lézardés et vallonnés, planchers parsemés de nids de poules ou complètement délabrés et couverts de poussières et de déchets, toilettes inutilisables, enceintes mal sécurisées, pas d’électricité, souvent pas d’eau …..

– Absence des manuels scolaires, liée à leur gestion. Les marchés en regorgent au moment où dans les écoles les enseignants n’arrivent pas à en acquérir un exemplaire pour préparer leurs cours.

– Les conditions des enseignants laissent à désirer. Au lieu de les améliorer, le nouveau régime a fait la déplorable découverte des prestataires du service d’enseignement, payés au rabais et ne bénéficiant d’aucun droit. Absence de formation continue, absence de transparence dans la gestion aussi du personnel que du budget du ministère.

2-Est-ce que les syndicats, le votre précisément sont associés aux supposés changements  qui seraient en cours ?

Non! A part quelques réunions visant à les utiliser comme faire-valoir, alors qu’en réalité les syndicats d’enseignants ne sont quasiment pas associés de manière sérieuse, en particulier autour de leurs plateformes revendicatives.

3-Etes-vous satisfait du déroulement de la reprise de l’année scolaire après un long arrêt dû à la pandémie de la Covid 19 ? Les conditions sont-elles réunies pour bien finir cette année ?

Absolument pas ! Cette reprise est engagée dans des conditions de cafouillage total : Pas de gel à mains dans les écoles, pas de thermo flash, pas de dispositifs pour exploiter les quelques bouteilles d’eau de Javel restées abandonnées dans un de l’administration de l’école, les masques en quantités insuffisantes, ce qui fait que dans beaucoup d’écoles les élèves n’ont pas eu droit à aucun masque.

4-La réforme de l’éducation est un chantier gigantesque. Par où doit-on commencer selon vous. Quelles sont les priorités ?

Toute réforme qui se veut sérieuse doit passer par le règlement de la question culturelle dans ce pays. Pour ce faire, il est urgent de réunir tous les acteurs autour d’une table pour décider, ensemble, de manière consensuelle et sans exclusive ce que nous devons enseigner à nos enfants. Certes, se n’est pas chose aisée, mais c’est un passage obligé  pour mettre notre système éducatif à l’abri de l’instrumentalisation politique en élaborant une charte de l’éducation que, ensemble, nous respecterons scrupuleusement et que nous défendrons.

5-Quel est l’impact des changements récurrents au niveau du ministère de l’éducation, aussi bien au niveau de l’organigramme qu’au niveau des hauts responsables (ministres et Secrétaires généraux notamment) ?

Les changements des hauts responsables n’ont eu aucun impact visible. Quant à l’organigramme, il se trouve encore dans les tiroirs. Le ministère hésite à le meubler, je ne sais pour quelles raisons.

6-A quoi se résume votre plate-forme revendicative et quelle est la situation du professeur aujourd’hui ?

Actuellement, l’éducation dans notre pays se débat dans une crise sans précédent :
La gestion du personnel enseignant (affectations, promotions, formations, etc.) est un gâchis organisé ;
La pénurie d’enseignant ne fait que s’aggraver, et le recrutement d’enseignants non permanents ne suffit pas pour y faire face. En plus, ces derniers ne sont pas mis dans les conditions minimales leur permettant de s’acquitter de leurs tâches : Ils ne reçoivent aucune formation pédagogique et leurs très bas salaires ne suffisent même pas à leur assurer un habillement décent. Leurs collègues fonctionnaires de l’Etat vivent dans des conditions peu enviables. Et, au lieu d’améliorer leurs conditions, l’Etat opte pour la contractualisation, privilégiant la précarité de l’emploi des enseignants ;
Le personnels d’encadrement, nommés ces dernières années, ne perçoivent pas encore leur indemnité ;
Les écoles fondamentales sont vendues ou transformées en collèges ;
Les bâtiments scolaires sont insuffisants et mal entretenus ;
L’indemnité d’équipement, sensée être payée au début de l’année scolaire, n’est pas encore perçue pour cette année ;
Le manuel scolaire de l’IPN, destiné à être distribué gratuitement dans les écoles, s’entasse sur les étals du marché de la capitale ;
La craie achetée par le ministère n’est ni tendre ni friable. Dure comme du feldspath, elle ne laisse aucune trace sur le tableau noir. Les enseignants ne s’en servent plus, et sont contraints de payer la craie par leurs propres moyens.
etc.
La plate-forme revendicative du SNES est pratiquement la même depuis 2016. Elle se résume aux points ci-dessous :
1. Augmentation substantielle des salaires ;
2. Adoption et mise en œuvre d’un nouveau statut des professeurs du secondaire, en concertation avec les syndicats du secteur ;
3. Mise en œuvre en toute urgence d’une politique de logement permettant l’acquisition d’un logement décent à chaque enseignant du Secondaire ;
4. Augmentation substantielle de l’indemnité de craie, et son paiement pour les 12 mois de l’année ;
5. Augmentation substantielle de l’indemnité d’équipement et son paiement à tous les enseignants servant dans les établissements du Secondaire ;
6. Augmentation substantielle de la prime de transport ;
7. Signature d’un nouvel arrêté des critères de promotion et d’affectation et son respect rigoureux ;
8. Révision à la hausse de l’indemnité de fonction (gestion des laboratoires, surveillance générale, direction des études, direction des établissements) ;
9. Augmentation substantielle de l’indemnité des coordinateurs de disciplines et son payement les douze mois de l’année ;
10. Révision à la hausse de l’indemnité d’éloignement et sa généralisation ;
11. Augmentation substantielle de la rémunération de la surveillance et la correction des examens nationaux, et l’application de critères transparents pour le choix des professeurs chargés de ses tâches ;
12. Formation continue en langue au profit des professeurs chargés d’enseigner dans une langue autre que leur langue de formation ;
13. Promotion des professeurs ayant des diplômes d’études supérieures et révision de la politique de formation et de perfectionnement ;
14. Intégration en tant que fonctionnaires à la fonction publique de tous les enseignants du secondaire ;
15. Mise de la fonction de professeur à l’abri de la contractualisation et l’engagement des professeurs en tant que fonctionnaires afin de les protéger contre la précarité de l’emploi ;
16. Révision à la baisse du volume horaire afin d’alléger les charges du professeur au fur et à mesure de son ancienneté dans la fonction publique, et son utilisation, en contrepartie d’une indemnité, pour contribuer à la formation continue des professeurs ayant besoin de renforcement de capacités ;
17. Adoption d’une politique d’évaluation transparente tout en tenant les professeurs régulièrement informés sur ses résultats ;
18. Généralisation l’évaluation bilan annuelle prenant l’avis de tous les fonctionnaires au niveau de l’enseignement secondaire afin de constituer une image complète du déroulement du travail à la fin de chaque année scolaire ;
19. Construction et réfection des bibliothèques, laboratoires, salles d’Internet et leur équipement par le matériel nécessaire à l’épanouissement du professeur et de l’élève ;
20. Etant donné la pénurie d’enseignants qualifiés, au lieu de ramener les professeurs du premier cycle à l’ENS, les garder sur le terrain, leur soumettre le programme de formation sous forme de modules, et à la fin d’une période déterminée, les soumettre à un test que ceux qui passent avec succès seront reversés au second cycle ;
21. Amélioration de la formation continue, généralisation et introduction de l’informatique dans ses programmes au profit des enseignants et des membres des administrations des établissements ;
22. Dotation des établissements de manuels scolaires en quantités suffisantes et interdiction de leur vente sur le marché ;
23. Entretien des salles de classes (tableaux, planchers, portes, fenêtres.) et assurer la salubrité dans les établissements ;
24. Sécurisation de tous les Etablissements du Secondaire par la construction de murs fortifiés et de portails résistants ;
25. Limite des effectifs des élèves à 30 par classe ;
26. Mise sur pied d’une commission nationale regroupant les syndicats du Secondaire, chargée du suivi et de la constitution des comités de gestion des établissements ;
27. Mise des enseignants d’éducation physique dans de meilleures conditions (infrastructures sportives convenables et sécurisées, équipements.) ;
28. Recrutement en nombres suffisants de personnels d’appui et l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail ;
29. Révision du système d’assurance maladie afin d’améliorer la prise en charge, accélérer le processus, aligner les prix sur ceux du marché, en simplifier les procédures, généraliser ses services sur l’ensemble du territoire national, et prise, au plus vite, du décret permettant aux ascendants de bénéficier du régime d’assurance maladie ;
30. Formation de groupes d’enseignants à de nouvelles fonctions de plus en plus importantes dans les établissements d’enseignement secondaire (psychopédagogie, socio-pédagogie) ;
31. Augmentation des allocations familiales pour en faire une contribution conséquente à l’éducation de l’enfant ;
32. Transparence dans l’attribution des bourses de formation et la mise en position de stage ;
33. Formation en gestion administrative et financière de tous les personnels d’encadrement des établissements du Secondaire.
34. Remboursement des montants prélevés sur les salaires lors des grèves : 15 jours (du 29 janvier 2012 au 12 février 2012), 26 jours (du 26 février au 22 mars 2012), et 16 jours (du 2 au 17 mai 2012) ;
35. Rétablissements des droits des membres de l’administration démis de leurs fonctions à cause des grèves évoquées ci-dessus ;
36. Révision des maxima de service hebdomadaire du personnel enseignant des établissements secondaires fixés par le décret n° 2012-027 du 24 janvier 2012

7-Quelles solutions préconisez-vous pour sortir l’école mauritanienne de la situation peu enviable dans laquelle elle se trouve aujourd’hui ?

Pour sortir de cette situation, nous avons besoin d’œuvrer pour mettre en place une école publique, gratuite et de qualité. Pour ce faire, nous avons de mettre en valeur nos langues nationales. Aujourd’hui, nos enfants apprennent très mal. Comment peut-on penser donner des enseignements à un enfant dans une langue qu’il ignore totalement ?

Le budget de l’éducation doit être nettement renforcé pour mettre les enseignants et les apprenants dans des conditions de travail optimales,  en commençant par l’amélioration des conditions de vie des enseignants, de telle sorte que le travail dans l’enseignement soit le premier choix des jeunes sortants des universités les plus brillants. Il doit également permettre une nette amélioration des formations initiale et continue des enseignants, une profonde restauration des infrastructures existantes et la construction de nouvelles infrastructures, une profonde réforme des programmes et leur mise gratuitement à la disposition des apprenants et des enseignants dans des manuels bien élaborés, l’orientation vers l’utilisation des nouvelles technologies, la mise en place d’un système d’internat pour prendre en charge les élèves ayant des difficultés d’accès à l’école pour diverses rasions.

Propos reccueillis /

Par Bakari Guèye/Source : Essada Echos N°5 du Mercredi 09/09/2020

 

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