Interview/Mohamed AbdallahiBellil, Président de l’Observatoire Mauritanien de Lutte Contre la Corruption

« L’ancien président mérite surtout le respect de la part de ceux qui l’ont servi avec acharnement, qui se sont servis sans scrupule durant ses mandats et qui l’ont beaucoup adulé. »

Mr Bellil, comment jugerez-vous l’atmosphère politique qui règne actuellement sur le pays ?

Mohamed AbdallahiBellil (M.A.B) : C’est une atmosphère relativement favorable comme ont eu à l’exprimerplusieurs acteurs de la scène nationale. Atmosphère marquée par le rétablissement progressif des institutions dans leurs rôles respectifs. De plus en plus, se dessinent les prémices d’une séparation des différents pouvoirs qui assument, chacun, sa mission de façon effective et complémentaire. Il y a là un équilibre nécessaire de nature à asseoir les fondements d’un Etat de droit et à stimuler un jeu démocratique ouvert.

Le rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire suscite des débats vifs autour de la corruption. Quelle est la position de la Société Civile à ce sujet ?

M.A.B : Il est vrai que, récemment, des voix se sont élevées pour déplorer l’absence quasi-totale de la Société Civile à ces débats. Certaines personnalités, et non des moindres,se sont même vu s’émouvoir du fait de cette attitude qui ressemble fort à une indifférence délibérée.

Cependant, depuis la fin de l’enquête parlementaire, plusieurs Organisations de la Société Civile (OSC) ont fait preuve d’activisme. Certaines d’entre elles ont publié des déclarations. D’autres ont envoyé leurs représentants prendre part à des émissions radiotélévisées afin d’exprimer leurs points de vue.

Ce réveil est d’autant plus opportun que le rôle des OSC dans la lutte contre la corruption est fondamental comme souligné dans l’article 13 (Chapitre II) de la Convention des Nations Unies Contre la Corruption (CNUCCC). Ledit article stipule que : «  Chaque Etat Partie prend des mesures appropriées, …………… pour favoriser la participation active de personnes et de groupes, tels que la Société Civile, les organisations non-gouvernementales et les communautés de personnes, à la prévention de la corruption et à la lutte contre ce phénomène, ainsi que pour mieux sensibiliser le public à l’existence, aux causes et à la gravité de la corruption et à la menace que celle-ci représente… »

Les OSC sont-elles capables de se constituer en partie civile ? Quel rôle sont-elles appelées à jouer pour contribuer au succès du processus en cours ?

M.A.B : Nettement précisé dans les différents instruments institutionnels et juridiques nationaux et internationaux relatifs à la lutte contre la corruption, le rôle de la Société Civile va de la dénonciation jusqu’à pouvoir se constituer partie civile. A commencer par la CNUCC déjà citée.

C’est ainsi que le paragraphe 7 de la Stratégie Nationale de Lutte Contre la Corruption, adoptée en Conseil de ministres le 9 décembre 2010 « confère à la société civile la possibilité de s’exprimer, de formuler des avis et d’engager des actions auprès des autorités et de la Justice ».

Et le paragraphe 44 de cette même Stratégie recommande la création d’un Observatoire indépendant constitué exclusivement par les organisations de la société civile dont la deuxième mission est « la réception d’informations et de plaintes et l’assistance des victimes de la corruption ».

Quel est l’avis de la Société Civile sur les avoirs mal acquis révélés par l’enquête parlementaire et de plus en plus par l’enquête judiciaire ?

M.A.B :Là aussi, le rôle de la Société Civile est clairement souligné dans le chapitre V de la Convention des Nations Unies Contre la Corruption relatif à la restauration des avoirs. C’est, aussi, une préoccupation majeure de l’« Initiative pour le recouvrement des avoirs volés » (STAR), lancée en 2007 et qui constitue un partenariat entre la Banque Mondiale et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

Toujours dans ce cadre, notre loi 2016 contre la corruption évoque, en son article 15, la participation de la SC et en son article 44 la protection des témoins et des victimes.D’où notre intervention légitime dans le cadre de la demande de restitution des avoirs mal acquis.

A cet effet, l’Observatoire Mauritanien de Lutte Contre la Corruption envisage de se constituer partie civile, eu égard à la gravité des faits relatés par le Rapport de la CEP s’ils s’avèreraient exacts, à l’ampleur des préjudices que subiraient les populations mauritaniennes et, aussi, à l’obligation de répondre aux attentes du public.

Par conséquent, nous allons nous atteler, dès à présent, à réunir les conditions préalables suivantes :

  • S’assurer du soutien et de l’appui d’une forte alliance au sein de la société civile ;
  • Forcer l’adhésion,à notre projet, des media d’information, de révélation et d’investigation ;
  • Bénéficier de l’assistance d’avocats prêts à défendre bénévolement notre cause.

Enfin, il y a lieu de préciser qu’en se constituant partie civile, nous ne portons plainte contre qui que ce soit et ne cherchons chicane à personne. Notre objectif se limite uniquement à appuyer et accompagner les nombreuses demandes pressantes, émanant d’une multitude de forces vives,en vue de la restitution des biens détournés et mal acquis de manière avérée, qui reviennent de droit au peuple mauritanien et qui en a fort besoin en cette période de pandémie et de difficultés économiques et financières.

Aujourd’hui, on parle beaucoup des conditions de détention de Mohamed Ould Abdel Aziz. Quel commentaire vous inspire ce sujet ?

M.A.B : Mohamed Ould Abdel Aziz mérite respect en tant qu’être humain. En tant que prévenu, il jouit de la présomption d’innocence et doit recouvrer tous ses droits en tant que tel. Au besoin, il doit aussi bénéficier d’un procès juste et équitable.

En tant qu’ancien président, il mérite surtout respect et considération de la part de tous ceux qui l’ont servi avec passion et acharnement, qui se sont servis sans scrupule durant ses mandats et qui l’ont beaucoup adulé.

Propos reccueillis par BakariGuèye

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