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Bacari Guèye, journaliste : « J’aimerais revenir sur l’état désastreux du secteur de la presse en Mauritanie »

DOSSIER-Presse Africaine-  Bacari Guèye, journaliste et vice-président de la section  mauritanienne de l’Union Internationale de la Presse Francophone (UPF)- Une signature connue et reconnue en Mauritanie pour avoir travaillé pour plusieurs rédactions et occupé des responsabilités rédactionnelles.

Rencontre avec un journaliste dont le parcours se confond avec l’histoire de la presse privée mauritanienne.

Qui est vraiment Bacari Guèye ?

Merci Mr Camara de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer à travers Farafinainfo.com, un site d’information guinéen que je suis et que j’apprécie bien pour le bon travail qu’il abat. Bon je vous parle en ma qualité de journaliste et de vice-président de la section  mauritanienne de l’Union Internationale de la Presse Francophone (UPF)

Pour parler de mon parcours, je suis mauritanien, diplômé en Histoire et en Littérature française. Je suis sortant de l’Ecole Normale Supérieure et donc professeur de formation ; professeur de français. J’enseigne depuis bientôt 25 ans dans les collèges et les lycées, toujours avec le même engouement et ce malgré les conditions difficiles dans lesquelles exerce l’enseignant en Mauritanie.

Et parallèlement à l’enseignement je m’investis également dans le journalisme que je considère comme mon second métier.

Pourquoi avez-vous choisi d’être journaliste comme second métier ?

J’ai été naturellement porté vers le journalisme. J’ai eu la chance d’avoir été formé à la bonne école. En 1973 quand mes parents m’ont inscrit à l’école 3 de Kiffa (grande ville de l’Est), le système éducatif mauritanien était encore performant et j’ai eu la chance d’être tombé sur de bons enseignants à qui je rends un vibrant hommage ici. Je vais citer quelques uns d’entre eux qui m’ont profondément marqué. Il s’agit de M. Ould El Hadj Brahim qui m’a appris à lire dès le CP, M. Cheikhani mon maître au CE1 et mes enseignants à Boghé (ville du Sud) où j’ai débarqué en 1977 pour boucler mes études primaires et secondaires. A Boghé je citerai particulièrement M. Mahfoudh Ould Babana mon maître au CE2, M. Sambou qui m’a enseigné au CM1 et M. Sy Djiby Bekaye mon maître au CM2.

Si j’ai tenu à citer ces grandes figures de l’école mauritanienne, c’est pour les remercier de m’avoir formé et de m’avoir permis de maîtriser les rudiments de la langue française dès le primaire.

 Au collège et au lycée de Boghé où j’ai continué mes études toutes les conditions étaient réunies pour permettre à l’élève très studieux que je fus, de terminer brillamment le cycle secondaire qui a été couronné par le baccalauréat obtenu en 1986.

J’ai eu la chance d’avoir vécu dans une famille où on parlait français au quotidien et tout au long de ces années, j’avais pour compagnon un aîné, mon cousin, élève comme moi et nous ne parlions entre nous que français.

Profitant de l’accès gratuit à la grande bibliothèque du lycée, je lisais beaucoup. C’était d’ailleurs mon unique activité en dehors des rares parties de football auxquelles je m’adonnais avec mes amis.

C’est aussi à cette période que j’ai commencé à écrire. Déjà en première année secondaire je réalisais certains reportages sur des matchs de football qui se jouaient localement dans le mythique stade de « Djinthiou ».

J’écrivais également des reportages sur les grands événements tels que les fêtes religieuses, les commémorations de la fête de l’indépendance, etc. C’est donc pour vous dire que le journaliste qui sommeillait en moi commençait déjà à ajuster sa plume.

Au début des années 1990, à l’occasion des démocratisations décrétées par le fameux discours de la Baule, la Mauritanie était entrée dans la danse et avait décidé la libéralisation de la presse.

Au début de cette libéralisation, en 1991, il n’existait qu’un seul journal indépendant en Mauritanie. Ce journal s’appelait « Mauritanie Demain » et j’ai eu l’honneur d’intégrer la rédaction de ce journal. Je venais alors tout juste de décrocher mon diplôme de maîtrise à la Fac.

La rédaction était composée en partie d’enseignants et de jeunes diplômés dont l’actuel ministre de la justice Mr Haimoud Ramdane.

J’ai commencé à écrire des articles qui étaient régulièrement publiés toutes les semaines dans la rubrique « Courrier ». Très vite mes articles ont fait mouche et Mr Beyrouk, le directeur du journal proposa de m’intégrer à la rédaction et me promis un salaire que j’attends toujours encore aujourd’hui. Mais là n’était pas l’essentiel pour moi. J’aimais écrire et j’avais eu une tribune de choix pour m’exprimer et déverser tout ce qui se trouvait dans ma besace, profitant ainsi de la liberté d’expression.

Mes articles ont fait la Une de ce journal qui était très populaire et cela a contribué bien entendu à me faire connaître ; ce qui m’a permis de suivre mon bonhomme de chemin dans le domaine de la presse, aussi bien sur le plan national que sur le plan international.

Après Mauritanie demain j’ai navigué avec le courant qui va accompagner l’explosion des titres après 1991.

En 1992, j’ai collaboré avec le journal « Al Bayane » dirigé par feu Habib Ould Mahfoudh, une référence dans le domaine de la presse en Mauritanie.

Je me rappelle de l’article très engagé que j’ai publié dans le N°1 d’Al Bayane. C’est également un article publié dans les colonnes de ce journal qui m’a permis de remporter le premier prix d’un concours de presse organisé par l’AMPF(Associa Mauritanienne pour la famille) et d’empocher mon premier chèque. Par la suite j’ai collaboré avec les journaux « Mauritanie Hebdo », « Le Temps », « Mijhar », le « Méhariste », « La Tribune »…Je fais également partie de l’équipe qui a lancé en juin 2003 le quotidien « Nouakchott Info » dont je serai nommé Rédacteur en chef en 2016.

En 2007 j’ai également dirigé la rédaction du journal « Le Divan ». J’ai aussi dirigé la rédaction du magazine publicitaire « Ich’har » qui était imprimé en couleur à Dakar, une exception notable dans la presse mauritanienne.

En 2015 j’étais responsable du Desk Economie du site web « beta.mr »

Et depuis novembre 2019, je suis éditorialiste du site web « initiatives News. Je vous parlerais aussi bien entendu de mon expérience avec la presse internationale.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la presse mauritanienne de l’avènement de la presse privée à nos jours en passant évidemment à la libéralisation des ondes ?

Comme vous le savez la presse privée mauritanienne est encore jeune et elle ne se relève toujours pas des anomalies qui ont accompagné sa naissance. Cette naissance ayant été décrétée suite à des impératifs de géopolitique internationale, est intervenue dans un contexte marqué par une chape de plomb qui pesait sur les libertés.

Avec la libéralisation et la naissance des premiers journaux, des intellectuels de tout bord, des enseignants pour la plupart ont su relever le défi en créant des journaux crédibles qui ont contribué à forger une opinion publique et à l’enracinement de la démocratie.

Donc malgré l’absence quasi-totale de journalistes professionnels, et malgré les pressions de l’Etat et les affres de la censure avec le fameux article 11 qui était brandi à tout va pour empêcher un journal de paraître, cette première génération de pionniers a réussi à mettre sur pied un embryon de presse qui malheureusement a été étouffé dans l’œuf par les pouvoirs publics.

Ainsi donc, après un décollage plutôt prometteur et un impact assez intéressant sur l’opinion publique, les autorités ont vite fait marche arrière et ont décidé de torpiller le projet.

C’est ainsi qu’elles ont décidé d’inonder le secteur avec des titres farfelus et des personnes peu recommandables, sans formation, sans aucun bagage et parfois à la moralité douteuse se sont érigés du jour au lendemain en journalistes, voire même en patron de presse. Avec cette inflation de titres qui se poursuit encore de nos jours avec la presse électronique, ce fut la descente aux enfers pour une presse mauritanienne longtemps infantilisée et traînée dans la boue.

Et d’ailleurs doit-on parler de presse dans ce contexte. Je pense que non. Le secteur est dans un état de délabrement tel que, aujourd’hui sur la centaine (et même plus) de journaux reconnus officiellement, on en trouve que rarement quelques uns qui paraissent plus ou moins régulièrement.

La presse privée mauritanienne est livrée à elle-même et ne bénéficie que de maigres subsides offerts par la fameuse caisse d’aide à la presse, des subsides qui finissent généralement dans les poches des directeurs de publication et autres patrons d’associations de presse bidon.

Du côté de la presse privée audiovisuelle, la situation est encore pire. En 2011 les ondes ont été libéralisées à leur tour et on a assisté à l’octroi par la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel de 10 licences, cinq radios et de cinq télévisions privées.

Seulement, cette libéralisation n’avait pas non plus été préparée et les mécanismes entourant cette libéralisation présentent des obstacles qu’on n’arrive toujours pas à surmonter. Face au fardeau des dépenses faramineuses, certains de ces médias ont très vite mis la clé sous le paillasson, les autres croupissent sous les dettes et continuent à végéter.

Je tiens aussi à souligner que pour ce qui est de la presse publique, la situation n’est guère meilleure. Ces médias fonctionnent avec l’argent du contribuable et bénéficient de subventions substantielles de la part de l’Etat. Ils ne respectent pas non plus les cahiers de charge. Ils sont handicapés par l’existence d’un personnel pléthorique et mal formé, et parfois même pas formé du tout, ce qui influe beaucoup sur leur rendement.

Permettez-moi de parler un peu de la situation des journalistes mauritaniens qui est tout simplement surréaliste. Ces journalistes travaillent dans la précarité totale. Ils travaillent sans contrat, sont très mal ou pas du tout payés et leur maintien ou non dans leurs postes est régi par les humeurs de leur employeur.

Il convient de noter également la marginalisation de la presse francophone qui, de locomotive de l’essor de la presse mauritanienne est passé à souffre-douleur pour les ténors d’une presse arabophone de pacotille qui considèrent que les journalistes francophones sont les membres d’une cinquième colonne au service de la France et de l’Occident.

Cette supercherie nuit gravement à l’évolution du secteur.

Y’a-t-il un avenir pour la presse écrite (version papier) ? Ou bien son avenir entre les mains de l’Internet ?

Personnellement je pense que la presse papier est vouée à la disparition. Aujourd’hui la tendance est générale ; partout dans le monde on se reconvertit vers la presse électronique qui paraît plus adaptée au contexte actuel de la célérité de l’information, au règne quasi-total des NTIC et aux impératifs de la mondialisation.

Vous qui aviez été le Conseiller en communication d’un leader politique Bâ Alassane Hamady Soma dit Balas pour ne pas le nommer … Quelle analyse faites-vous de la communication politique en Mauritanie en particulier et en Afrique en général ?

Effectivement, j’ai eu l’occasion de travailler avec mon ami Balas que je remercie au passage et de diriger la communication du PMC Arc-en-ciel, un parti politique mauritanien, qui a contribué à la marche du pays vers la démocratie et à l’apaisement des passions et des tensions intercommunautaires. J’étais chargé de communication mais aussi Porte-parole officiel du parti.

Ce fut pour moi une expérience tout à fait constructive qui m’a permis de découvrir les arcanes de la politique.

Ce parti n’était pas un grand parti, c’était un jeune parti mais du fait du travail de communication que j’ai eu l’honneur de diriger, le résultat était phénoménal et j’en suis particulièrement fier.

 En effet ce fut le parti mauritanien qui communiquait le plus malgré la faiblesse de ses moyens, plus même que le parti au pouvoir et cela nous a donné beaucoup de visibilité et nous a attiré beaucoup de sympathie mais aussi beaucoup de militants.

En Afrique et singulièrement en Mauritanie, les partis politiques ne communiquent pas comme il se doit. Les services chargés de la communication sont souvent absents et calqués sur des modèles passéistes qui réduisent leur rôle à la rédaction épisodique de communiqués laconiques pour faire connaître la position du parti sur tel ou tel événement ou bien pour saluer ou dénoncer telle ou telle position.

Hors le chargé de Communication doit être la locomotive du parti. C’est à lui qu’échoit la grande responsabilité de donner une bonne visibilité et une bonne image au parti et à son président. Il doit rédiger les communiqués, les PV de réunion, les comptes rendus, les interviews et les discours du président du parti. Donc comme vous le voyez, la communication doit être la cheville ouvrière de l’action d’un parti politique. C’est d’ailleurs également valable pour un Etat car avec l’absence d’une bonne communication et de bons communicants, le pays peut être traîné dans la boue et c’est justement le cas pour notre pays.

Y’a-t-il des journalistes qui ont influencé le jeune Bakari Guèye à devenir, si oui lesquels ?

Non. Comme je l’ai déjà souligné, je suis né un peu journaliste si je peux m’exprimer ainsi. J’avais le goût de l’écriture, une certaine maîtrise de la langue française, l’esprit d’initiative et un grain de curiosité, en fait tous les ingrédients pour devenir journaliste.

Donc aucune influence et d’ailleurs ce n’était pas possible. Quand j’étais élève mon père m’interdisait jusqu’à l’usage de la radio qui était le seul médium disponible à plus ou moins grande échelle.

Je tiens cependant à souligner qu’au cours de mon long parcours de journaliste sac à dos j’ai bénéficié de plusieurs formations aussi bien en Mauritanie qu’à l’étranger et je n’ai cessé de parfaire ma formation depuis. Je tiens également à souligner qu’en tant que journaliste sac à dos je n’ai rien à envier aux confrères formés dans les écoles de journalisme et j’ai régulièrement l’occasion de le démontrer à travers mes articles et à travers les Workshop auxquels je prends part un peu partout à l’étranger, en Afrique et en Europe.

Il y a également lieu de souligner que j’ai raflé plusieurs prix dont celui du meilleur article de l’année offert en 2005 par l’ambassadeur américain à Nouakchott.

Je tiens également à noter que j’offre des consultations en communication. En Mauritanie je suis accrédité comme correspondant du cabinet de consulting basé à Paris et mondialement connu.

Comment regardez-vous aujourd’hui votre parcours de journaliste et de correspondant de presse auprès de plusieurs rédactions et tant de responsabilités exercées dans ces différents organes de presse ?

Je suis très fier de mon parcours de journaliste. J’ai fait mes preuves dans les meilleures rédactions locales, ce qui m’a ouvert grandement les portes de la presse internationale. Vous savez dans nos pays pour réussir il faut avoir des bras longs. Mais aussi quand on travaille dur et qu’on arrive à faire la différence, la récompense peut venir de partout.

Au niveau national je considère que mes efforts n’ont jamais été récompensés à leur juste valeur. Je jouais juste le rôle de nègre de service et je me rappelle qu’au quotidien Nouakchott Info, je pompais parfois jusqu’à trois articles par jour et j’étais le traducteur maison, tout ça sans récompense aucune et pour un salaire de misère.

Mais la récompense viendra d’ailleurs. Ainsi, grâce à mon travail et seulement mon travail j’ai très vite eu une reconnaissance au plan international. Déjà en 1995 j’ai été accrédité comme correspondant en Mauritanie du journal français « Correspondances International », un journal où j’ai côtoyé de grands noms dont les deux célèbres tunisiens Abdel Aziz Dahmani et Tawfik Ben Brik.

J’ai également été Correspondant en Mauritanie et je le suis toujours d’ailleurs du Magazine français « Lakoom Info » qui traite de l’actualité au Maghreb.

Et de 2011 à 2015, j’ai été l’un des correspondants en Mauritanie de « Magharébia.com », le site du Commandement des États-Unis pour l’Afrique, le fameux United States Africa Command ou AFRICOM, un site spécialisé dans le traitement de l’information sécuritaire au Sahel et dans le Maghreb arabe.

Le travail au sein de ce grand site d’information m’a ouvert d’autres portes. C’est ainsi qu’en 2013 suite à l’attaque terroriste d’In Amenas en Algérie dirigée par Moktar Belmoktar, je fus contacté par de grands journaux au Japon et au Canada pour signer des articles sur cet événement.

Et en 2015 j’ai signé à Bucarest (Roumanie) un contrat de consulting avec un important bureau d’études roumain. Ce contrat entre dans le cadre du projet « Eurafrika », dans le domaine sécuritaire.

Etes-vous satisfait ou pas de votre parcours ?

Tout à fait. Je suis très satisfait de ce parcours qui, comme vous le voyez est très riche et plein d’enseignements. Et je profite de l’occasion pour inviter les jeunes journalistes à persévérer dans le travail et à ne pas être très regardant sur l’aspect pécuniaire de leur travail. Leurs efforts seront récompensés d’une manière ou d’une autre. Mais qu’ils se mettent dans la tête qu’ils doivent d’abord faire preuve de sérieux et d’abnégation.

Quelle analyse faites-vous du traitement de l’information des jeunes journalistes mauritaniens ?

Pas terrible à ce que je vois. Mais quoi de plus normal quand on sait que la plupart de ces jeunes ont un déficit de formation et manquent cruellement d’encadrement adéquat. Ils n’ont pas souvent un background et ignorent souvent les B.A.B.A du traitement de l’information et ne maîtrisent pas les genres journalistiques. Par ailleurs ils n’ont pas généralement accès aux sources d’information. Voilà qui explique la persistance d’un journalisme basé sur la rumeur, la diffamation et les commérages, un genre de type nouveau qui a le vent en poupe chez nous aujourd’hui.

Quelle question aimeriez-vous répondre que nous n’avons pas posée ?

J’aimerais revenir sur l’état désastreux du secteur de la presse en Mauritanie aujourd’hui. Tout est à refaire. Le secteur doit être assaini. La tutelle doit être bien définie et bien piloté. Et pour ce faire on doit faire appel à des personnes valables. Les moyens ne manquent pas, les ressources humaines non plus. Il convient tout juste que les autorités mauritaniennes fassent preuve d’une réelle volonté politique et qu’elles interviennent énergiquement pour réguler cette écurie d’Augias qu’est la presse mauritanienne. Il faut que l’Etat mauritanien frappe un grand coup pour débarrasser la presse de toutes ces brebis galleuses qui n’ont pas leur place dans ce secteur qui devrait constituer une vitrine un baromètre de l’existence d’un Etat de droit en Mauritanie.

Propos reccueillis par Camara Mamady

Source : Farafinainfo.com

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