Francesco Cecon à Initiatives News : « Intégrer la question de la mobilité dans le système nationale de protection de l’enfance. »

Francesco Cecon, responsable protection à Save The Children-Mauritanie

Une caravane de protection de l’enfance en Mobilité sillonne actuellement neuf  wilayas de la Mauritanie. Après Nouadhibou, Rosso, Kaédi, Aleg et Boghé, elle séjourne à Sélibaby du 19 au 23 mars. Cette caravane est une des activités du projet AFIA financé par l’Union Européenne et mis en œuvre par Save The Children-Mauritanie, en partenariat avec le ministère des affaires sociales de l’enfance et de la Familles (MASEF). Le projet AFIA, d’une durée de trois ans, prendra fin en octobre 2019. Qu’est-ce qu’un enfant en mobilité ? Comment le protéger ? Pour, entre autres, réponses à ces questions, nous avons rencontré à Nouakchott Francesco Cecon, responsable protection à Save The Children-Mauritanie.

Entretien 

 

Initiatives News : Qu’Est-ce qu’un enfant en mobilité ? Comment le protéger ?

Francesco Cecon : C’est une question complexe. Par le fait même de la mobilité, ce n’est pas facile de protéger ces enfants tout au long de leur parcours. C’est un vrai défi pour tous les pays, y compris la Mauritanie.

« le concept de la mobilité va au-delà de la notion géographique »

Un enfant mobile, c’est celui qui est en déplacement, seul ou accompagné, pour plusieurs raisons. Ce déplacement peut être volontaire ou non. Il ne s’agit cependant pas d’un simple déplacement géographique, d’un pays à un autre, d’une ville à une autre. C’est un enfant qui, suite à cette mobilité, subit des transformations de son identité, perd ses repères. Donc, le concept de la mobilité va au-delà de la notion géographique. Le défi, c’est que les systèmes nationaux de protection dans les différents pays arrivent à prévenir les violences, abus et autres négligences dont ces enfants peuvent être victimes. Et, il s’agit aussi de pouvoir agir de façon efficace si l’une de ces situations (de violence ou d’abus) se présente.

Je dois préciser aussi que les enfants en situation de mobilité n’ont pas besoin d’un système parallèle de protection, de services spéciaux. Ils ont juste besoin d’être intégrés aux systèmes nationaux de protection de l’enfance.

IN : Au niveau du projet AFIA, vous avez défini les profils de mobilité dans le contexte mauritanien…

Francesco Cecon : Nous avons en effet défini quatre profils de mobilité. Je tiens cependant à préciser que les enfants en mobilité ne rentrent pas forcement dans un profil. C’est difficile de dresser des catégories. Ces profils sont juste dressés pour faciliter nos programmations pour la mise en œuvre de nos activités. Mais ce n’est pas facile de mettre l’enfant dans une case d’un seul profil du fait de la fluidité des formes de mobilité. Un enfant, d’un profil, peut évoluer vers un autre. Nous avons donc identifié quatre macros profils.

Il y a en Mauritanie, beaucoup d’enfants qui se déplacent pour l’apprentissage du Coran. Ils viennent des pays de l’Afrique de l’Ouest mais aussi de l’intérieur de la Mauritanie. Cette situation est en lien avec le « confiage« , c’est-à-dire des familles qui confient aux maîtres coraniques leurs enfants. Parfois, ça se passe bien.

Mais parfois, dans les mahadras non officiels, les enfants subissent l’exploitation par la mendicité ou la traite (qui est l’hébergement, le recrutement d’un enfant avec le but de l’exploiter). C’est particulièrement difficile de travailler avec ces profils d’enfants car le confiage est une pratique culturelle au sujet de laquelle nous ne voulons pas porter de jugement de valeur.

Une pratique qui peut cependant protéger l’enfant. Si elle est bien faite, en effet, elle peut être une opportunité d’éducation pour lui. C’est aussi difficile de travailler sur cette question car elle touche la sphère religieuse.

 » Les enfants talibés, eux, on les voit dans les rues. Les filles domestiques, elles, sont dans les maisons. »

Autres difficultés : ces enfants hébergés chez le marabout sont difficiles à repérer et leur accès aux services de protection n’est pas simple. Ils subissent pourtant plusieurs violations, notamment la traite, la mendicité, l’exposition aux risques…

IN : Le deuxième profil est celui des filles confiées…

Francesco Cecon : Les filles confiées dans le cadre de la servitude domestiques. Il y a beaucoup de fille de la sous-région ouest africaine ou de l’intérieur de la Mauritanie qui se déplacent pour travailler comme domestique. Il y a dans cette situation aussi, la traite car elles sont déplacées avec un but d’exploitation.

C’est un phénomène complexe car assez invisible. Les enfants talibés, eux, on les voit dans les rues. Les filles domestiques, elles, sont dans les maisons. En termes de protection, c’est donc difficile de les cibler.

Il y a une troisième catégorie. Il s’agit d’enfants qui se déplacent volontairement ou non et arrivent en Mauritanie. Ils finissent parfois dans la rue. Ces enfants fuient souvent des situations de violences ou de pauvreté. Ils s’adonnent à de petits métiers ou sont  recrutés par des adultes. On se demande d’ailleurs comment ces adultes arrivent à les repérer alors que les services de protection, les ONG, les autorités n’arrivent à le faire.

IN : Il y a aussi les enfants « aventuriers »

Francesco Cecon : Oui, des enfants qui se déplacent volontairement. Il s’agit des aventuriers qui viennent de communautés traditionnellement migrantes. Ces enfants suivent l’exemple d’un frère, d’un oncle ou quelqu’un d’autre de la famille élargie qui est parti… Ça peut bien se passer pour l’enfant. Mais il y a des risques. Je précise que nous ne sommes pas ici pour dire « ne voyagez pas ». Notre souci est de voir comment les enfants en mobilité peuvent être protégés tout au long de leur trajet.

IN : Dans le cadre du projet AFIA, qu’est ce qui a concrètement été fait pour la protection de l’enfance ?

Francesco Cecon : Il faut envisager cette protection à plusieurs niveaux. La question de la mobilité des enfants est une question complexe qui n’est pas intégrée dans le cadre stratégique de la politique mauritanienne. Je rappelle que les enfants en mobilité n’ont pas besoin d’un système de protection à part. Ils doivent être intégrés dans le système national de protection. Le gouvernement mauritanien a, en effet, la responsabilité de protéger tous les enfants qui vivent en Mauritanie.

 » les enfants en mobilité n’étaient pas forcement intégrés dans le fonctionnement concret du système national de protection »

Nous avons donc entamé un travail d’accompagnement du MASEF pour la mise à jour de la stratégie nationale de protection de l’enfance et l’intégration, justement, de la question de la mobilité dans cette stratégie.

L’idée est de mettre en avant le principe de la non-discrimination qui commande qu’aucun enfant ne soit discriminé du fait de ses origines, sa nationalité, sa race, etc.

Nous avons aussi constaté que les enfants en mobilité n’étaient pas forcement intégrés dans le fonctionnement concret du système national de protection, dans les mécanismes de coordination entre les acteurs. Quand ces acteurs se réunissent pour discuter, la question de la mobilité n’est pas évoquée.

C’est pourquoi, au niveau des tables régionales de protection de l’enfant (TRP) dans les wilayas, nous avons travaillé à une redynamisation pour intégrer dans les mécanismes les questions de mobilité, en les mettant dans les agendas.

Ces TRP servent à comprendre les problèmes de protection au niveau des wilayas, à identifier les actions à mettre en œuvre ou encore à prévenir les risques qu’encourent les enfants. Le projet AFIA a aussi mis en place 09 points focaux dans 09 wilayas pour accompagner le MASEF.

Nous avons également agi dans le sens du renforcement des capacités des acteurs agissant dans le cadre de la protection de l’enfance en mobilité.

En effet, le manque de prise en compte de la mobilité dans la stratégie et le système est, en partie, dû au manque de capacités des acteurs à gérer les situations de protection liées à la  mobilité. Nous avons ainsi renforcé les capacités du MASEF, de la brigade des mineurs, de la direction de la protection judiciaire de l’enfant….

Nous avons fourni un pool de formateurs avec lesquels nous avons défini les besoins de renforcement des capacités par rapport à leur travail. Ces acteurs ont été formés sur le contenu mais également sur des méthodes de partage, de restitution de ce contenu à leurs pairs.

Nous avons constaté que le renforcement des capacités n’était pas seulement une question de transmission de connaissances. C’est aussi la capacité de prise en charge matérielle des acteurs qui gèrent des centres d’accueil des enfants. C’est ainsi que des centres du MASEF et de la société civile ont été réhabilités pour améliorer, justement, leur capacité de prise en charge des enfants en situation de mobilité.

Il y a aussi un volet de sensibilisation des communautés sur les risques de la mobilité des enfants et leur protection. C’est dans le cadre de ce volet qu’entre la caravane dans les neuf wilayas.

Les leaders religieux, du fait de leur influence sur la société, sont une des principales cibles de cette sensibilisation. Avec eux, nous travaillons sur un guide d’argumentaire religieux de protection des enfants en mobilité.

IN : Avez-vous une idée du nombre d’enfants en mobilité en Mauritanie ?

Francesco Cecon : Non. C’est une question compliquée. Connaitre leur nombre requiert une capacité de repérage que nous n’avons pas à présent. C’est un sujet sur lequel nous travaillons.

IN : En Mauritanie et ailleurs, on dit souvent que l’on s’intéresse à une question le temps de la durée d’un projet…

Francesco Cecon : Le projet AFIA vise, prioritairement, le renforcement  du système national mauritanien de protection en intégrant la mobilité.

« le défi principal est le renforcement du système national de protection en Mauritanie. »

Il y a des activités spécifiques. Mais tout le travail est fait dans une perspective de durabilité pour que ça continue de fonctionner après le projet. A travers justement le renforcement du système national de protection de l’enfant pour qu’il puisse prévenir et répondre aux cas de violence, abus, exploitation, négligence et discrimination envers les enfants.

IN : La caravane sillonne les zones frontalières (Nouadhibou, Rosso, Kaédi Aioun…) le projet a- t- intégrer la dimension coopération transfrontalière ?

Francesco Cecon : Le problème de la coopération transfrontalière est Ouest africain, pas seulement mauritanien. Au mois de novembre 2018, à Nouakchott, nous avons organisé un forum régional avec la participation de la Mauritanie, du Sénégal, de la Cote d’Ivoire du Mali et du Burkina pour réfléchir sur un système de coopération et de collaboration pour la protection des enfants qui se déplacent d’un pays à un autre.

Pour finir, le défi principal est le renforcement du système national de protection en Mauritanie. Il y a une réelle volonté politique et une forte mobilisation pour les enfants. Mais il y a un problème de fonctionnement de ce système pour prévenir la traite et l’exploitation des enfants.

Propos recueillis par BS

 * Responsable protection à Save The Children-Mauritanie 

 

 

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