Les récentes images publiées par la chaine de télévision américaine CNN relatives au commerce des migrants en Lybie suscitent émoi, dégout, consternation et constriction. Le sujet anime et domine les débats dans les forums de discussion des réseaux sociaux dans le monde francophone. Les actions et les inactions, les paroles et les silences des hommes publics, notamment des footballeurs, des artistes et bien entendu des chefs d’Etat sont interprétés avec passion. Des analyses, des hypothèses et des commentaires des plus sérieuses aux plus sarcastiques affluent.
Je voudrais à mon tour m’exprimer sur ce que je crois être les causes profondes du phénomène et suggérer des pistes de réflexion sur ce phénomène qui est beaucoup plus large que nous ne le croyions.
Les causes du phénomène sont à la fois historiques et structurelles. Dans son discours de Dakar, l’ancien président de la république française, Nicolas Sarkozy disait ceci : « l’homme noir est mal rentré dans l’histoire le « drame de l’Afrique » vient du fait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire.». Si cette déclaration a déchainé une vague et une clameur à travers le monde entier, je crois pour ma part qu’aussi cruelle et laide qu’elle paraisse, il existe toutefois un brin de vérité dans cette pensée. Le phénomène de l’immigration clandestine vers l’Europe trouve sa justification, en partie, dans le fait que l’africain n’est pas encore parvenu à s’assumer comme un tout en soi. De l’élite intellectuelle à l’homme de la rue, il existe chez l’africain, un certain complexe d’infériorité, une forme de gêne, de mal aise face à l’occident, face à l’Europe et dans une certaine mesure face à l’homme blanc. L’africain du Sud du Sahara ne se sent complet que lorsqu’il revêt intérieurement comme extérieurement des caractères de la culture et de la société occidentale. C’est alors qu’il se sent important. Une valeur spéciale est alors accordée à tout ce qui revient de l’occident et tout ce qui a de la valeur est attribué à l’occident. Vous entendrez des expressions comme « un blanc à la peau noire » ou encore «les blancs sont trop forts »; expressions qui portent en elles tout le poids de la suggestion internalisée et transmise de génération en génération, selon laquelle il existerait une hiérarchie des races et l’homme de peau noire serait au bas de l’échelle. Ces suggestions ont été perpétuées à travers plusieurs siècles de domination au travers de la traite négrière, de la colonisation, du contrôle de l’économie et désormais par des systèmes et formules de développement qui ne laissent aux Etats africains aucun pouvoir de décision réel sur l’orientation et le développement de l’Afrique; là n’est cependant pas le débat.
Ce complexe d’infériorité généralisé guide les comportements, les paroles et les actions de l’africain. En effet, nombreux sont ces hommes et ces femmes qui quoique vivant dans des conditions décentes en Afrique, donneraient tout pour aller vivre dans des conditions plus difficiles en Europe, au Canada ou aux Etats-Unis. La raison profonde est à chercher dans l’image construite et véhiculée de l’occident, de l’Europe et de l’Amérique chez l’africain. Ce branding des sociétés du nord réussi par plusieurs siècles de domination et d’exploitation de l’africain a contribué à installer chez ce dernier une forme de fascination excessive pour l’Europe. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, l’homme qui revient de l’occident fait l’objet de toute l’attention. Dans les campagnes, on arrête ses travaux champêtres pour lui tenir compagnie, les meilleurs produits des champs atterrissent sur sa table. En ville, notamment à Abidjan, ils sont appelés « Benguis », ils s’attirent les regards, les égards et les envies. Pendant les vacances, lorsque les Benguis sont dans la place, les « locaux », ceux qui n’ont jamais eu la chance de voir la Tour Eiffel ou la Statut de la Liberté ressassent leurs frustrations. Dans les maquis et dans les quartiers, l’on a d’yeux que pour les Benguis. Ils dominent les débats, ils leurs volent la vedette aux locaux. C’est alors qu’en toute ignorance des difficultés auxquelles sont confrontés les africains en occident, le rêve d’une grande majorité de jeunes africains de toutes conditions est d’aller en Europe, au Canada ou aux Etats-Unis. L’élite politique ou intellectuelle n’est pas non plus en reste de l’influence du charme de l’Europe. Les dirigeants politiques africains ne se soignent-ils pas tous en Europe malgré les centres de santé et cliniques de standings comparables aux hôpitaux européens? Les médecins, les avocats et prestataires de service de haut niveau africains ne sont-ils pas tous formés presque dans des conditions similaires, sinon dans les mêmes écoles que les médecins, avocats et prestataires de service européens, alors pourquoi l’élite africaine préfère-t-elle confier la gestion de leur santé et de leurs biens aux européens?
Hormis, l’attrait et la fascination de l’africain pour l’occident, la fuite du bras vaillant et des cerveaux est aussi due à la mauvaise gouvernance des ressources et au niveau astronomique de détournement des biens par l’élite au pouvoir sur le continent. Selon une estimation de Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) cité par le site d’information suisse, Le courrier, l’argent détourné par les leaders africains et leurs proches au cours de la décennie 1998-2008 et placé dans les comptes suisses et dans les paradis fiscaux s’évaluait à environ 1000 milliards de dollar, soit 500 000 000 000 000 FCFA (Cinq cent mille milliards de FCFA), l’équivalent de 83 ans du budget actuel de la Côte d’Ivoire. Si cette somme était utilisée à bon escient, des jeunes africains n’iraient pas affronter, la Libye le désert et la mer.
AKO E. Emile
Source : http://lebanco.net